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Environ 200 personnes se sont retrouvées samedi 23 novembre à la HET-Pro (St-Légier VD) pour la Journée Jacques Ellul. Face aux nombreuses crises de notre temps – écologiques, géopolitiques, migratoires etc. – et les idéologies dominantes – consumérisme, nationalisme, capitalisme, militarisme etc. – qui se révèlent inefficaces pour apporter des solutions, un sentiment d’impuissance peut s’installer.

Les participant-es ont pu constater que la pensée d’Ellul, 30 ans après son décès, demeure d’une étonnante actualité et apporte des pistes de réponses, qui restent cependant défiantes. Par leur présence, ils ont exprimé leur besoin d’y réfléchir collectivement. Avec la publication des interventions en juin 2025 (« Face aux désastres ») et un processus de compilation de propositions concrètes, une suite est d’ores et déjà donnée à cette journée.

Neuf intervenants de différentes disciplines – théologie, philosophie, sciences sociales, ingénierie, économie… – ont présenté différents aspects de la pensée prolifique de l’auteur bordelais, par le biais d’exposés, d’ateliers participatifs, d’une table ronde et d’un débat public.

En ouverture, Jacob M. Rollison, théologien et worker à L’Abri (Huémoz), a parlé sur la technique comme « puissance et désespoir de l’être humain ». Selon Ellul, la Technique se caractériserait par son auto-accroissement, en ce qu’une invention génère d’autres et induit de nombreuses applications, dont l’orientation échappe au contrôle de l’être humain. Tel un bolide sans volant, le développement technique foncerait en avant, sans sens, ni but, créant des catastrophes de plus en plus inévitables. Et de poser la question : « Pourquoi ne levons-nous pas le pied ? »

A la suite de ce diagnostic désespérant, Frédéric Rognon, professeur de philosophie à l’Université de Strasbourg et grand spécialiste d’Ellul, lance : « Pas d’espérance sans désespoir », précisant qu’il s’agit du désespoir face à l’incapacité des moyens humains et techniques de pallier les crises. Certes, la Technique confèrerait à l’Homme une puissance inouïe, mais qui serait foncièrement ambivalente (avec des effets positifs et négatifs indissociables) et auto-accroissante. A l’opposé, Ellul propose la « non-puissance », un renoncement à la puissance (technique) qui implique de ne pas faire tout ce qui est faisable. Comme modèle de cette non-puissance, il désigne Jésus, ce Dieu tout-puissant qui renonce à sa puissance pour se faire humain.

En conclusion de la matinée, David Bouillon, professeur à la HET-Pro, a donné un éclairage biblique sur le catastrophisme en rendant compte du commentaire d’Ellul « Le livre de Jonas » (La table ronde, 2024). L’histoire de ce prophète nous ferait prendre conscience que c’est l’amour de Dieu qui nous rend responsable pour accomplir notre mission. Face à la toute-puissance de la Technique, Dieu affirmerait Sa compassion avec tout le vivant. Là serait l’issue de notre « enfer » et de nos crises, là serait notre espérance.

Des ateliers participatifs

Lors de la Journée Jacques Ellul, les participant-es ont joué un rôle actif. En effet, les ateliers de l’après-midi ont été un moment fort de la journée, d’une durée de plus d’une heure pour permettre la création collective de pistes concrètes face aux défis abordés pendant la journée. Ce qui en ressort a été présenté et discuté en plénière lors de la table ronde. Ainsi, les organisateurs sont confiants que la journée a permis aux personnes présentes de grandir dans un engagement juste au sein de nos sociétés en crises.

Une publication à venir

Suite à cette journée, une publication regroupant la synthèse des exposés, les présentations des ateliers, ainsi que le résultat des discussions sera publié en juin 2025 :
« Face aux désastres – Avec Jacques Ellul, penser la crise et choisir l’espérance.»
Editions mennonites (dossier Christ seul), 96 pages. Les pré-commandes sont possibles dès maintenant.

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Le 24 novembre 2024, la Suisse votera sur une modification de la loi sur l’assurance maladie sous le titre « Financement uniforme du système de santé » (EFAS). Une fois de plus, on espère freiner les coûts de la santé.

« Alors le Seigneur Dieu fit tomber sur l’homme un profond sommeil, de sorte qu’il s’endormit ». 1 
Lorsqu’Adam ouvrit les yeux, il vit devant lui EFAS. EFAS était parfaite et insurpassable dans sa beauté.

Peu après, le début de l’humanité a glissé dans la première grande crise. La maladie et la mort ont été initiées. Et bien qu’Adam et Eve fassent partie de l’histoire depuis longtemps, nous continuons aujourd’hui en Suisse, même après des millénaires, à lutter contre les conséquences de cette « pomme ». Un nombre infini de maladies et l’évitement de la mort marquent une grande partie de notre pensée. En 2023, les principales préoccupations des Suisses étaient la santé et les primes d’assurance maladie.2 Et les primes qui augmentent chaque année sont le reflet des coûts croissants générés par le système de santé en Suisse.

Depuis des décennies, on cherche désespérément les causes de cette hausse des coûts.

Les experts, les politiciens, les journalistes, oui, nous tous, connaissons les méchants : ce sont d’abord les hôpitaux trop chers, puis les médecins beaucoup trop bien payés, ensuite les médicaments et les implants extrêmement chers, oui, même les soins à domicile et la physiothérapie coûtent tout simplement trop cher, sans oublier les frais administratifs faramineux des assureurs-maladie. Que ces déclarations soient exactes dans le détail ou non, le fait est qu’à chaque discussion, que ce soit en privé, à la table des habitués ou dans l’« arène », les émotions montent.

Or, il est indéniable que les coûts augmentent. Il ne s’agit pas d’une explosion des coûts, mais plutôt d’une augmentation plus ou moins linéaire d’environ 4% par an, comme le montre le graphique suivant :3

Et ce ne sont pas seulement les coûts qui augmentent. Le nombre de prestations « consommées » évolue lui aussi continuellement à la hausse, comme le montrent les barres du graphique.

Le baromètre des préoccupations montre que notre plus grande préoccupation est la santé.

En règle générale, on répond à un souci et à un problème aussi important en agissant en tant que principal responsable. Rejeter la faute sur les autres est rarement une bonne solution. Et si nous nous appropriions le problème et que nous nous en occupions, en prenant par exemple au sérieux la question de la responsabilité individuelle ? Les autres sont-ils vraiment les seuls responsables de la misère du système de santé, comme indiqué ci-dessus ? Adam et Eve ont déjà essayé de faire comprendre à leur créateur qu’ils ne voulaient pas porter eux-mêmes la responsabilité. Chez Eve, la coupable était le serpent, chez Adam, c’était Eve.

Nous devrions donc nous-mêmes prendre les choses en main et donner une chance à la solution EFAS en adoptant une attitude positive et constructive et en faisant preuve de courage.

Après de nombreuses années de lutte entre les cantons, les assureurs-maladie et les soi-disant fournisseurs de prestations, EFAS a finalement abouti à une clé de répartition uniforme et claire pour les prestations ambulatoires, hospitalières et de soins. Les opposants au projet critiquent le fait que l’inclusion des prestations de soins, en particulier, entraînera une hausse des primes pour les caisses d’assurance maladie. C’est vrai, les primes vont augmenter. Mais comme nous le savons, elles augmentent depuis de nombreuses années et continueront d’augmenter à l’avenir, avec ou sans EFAS. Mais cela ne doit pas être une raison pour opposer enfin une bonne solution valable avec EFAS à un charivari de financement absurde qui dure depuis trop longtemps. Être orienté vers des solutions signifie chercher une nouvelle solution pour le prochain problème qui se pose. Et non pas de rester immobile par crainte de dommages éventuels.
Je peux également comprendre la crainte que la part de financement croissante ne donne plus de pouvoir aux caisses de maladie. Mais là aussi, il s’agit de relever ce défi et de réfléchir à la manière dont nous pouvons justement opposer quelque chose de constructif à ce problème.

En tant que médecin, je suis personnellement confiant dans le fait que nous assumerons de plus en plus notre responsabilité personnelle et que nous nous engagerons à l’avenir plus activement pour notre santé personnelle et notre bien commun. Même si EFAS n’est pas parfait et insurpassable à tous égards, cela vaut la peine de faire des pas responsables en ayant, dans un premier temps, un OUI clair à EFAS et, dans un deuxième temps, en enfilant maintenant nos baskets et en allant faire un tour de course à pied ☺ !

1. Genèse 2,21 ; traduction unitaire 1980
2. Baromètre des préoccupations CS 2023 ; https://www.credit-suisse.com/about-us/de/research-berichte/studien-publikationen/sorgenbarometer/download-center.html (accès 20241101)
3. OFSP Office fédéral de la santé publique, Tableau de bord de l’assurance-maladie ; https://dashboardkrankenversicherung.admin.ch/kostenmonitoring.html (accès 20241101)


Foto de Jair Lázaro sur Unsplash

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Le dimanche 24 novembre 2024, le peuple suisse votera sur l’extension des routes nationales afin de réduire le trafic et d’éviter les embouteillages. Mais l’augmentation du nombre de routes est-elle la meilleure option pour lutter contre la congestion du trafic dans les agglomérations ? Ne faut-il pas plutôt un tournant vers la mobilité combinée pour maîtriser le problème à plus long terme ?

Les personnes qui se déplacent chaque jour en voiture dans les agglomérations passent beaucoup de temps dans les embouteillages. Pour désengorger le trafic et permettre des temps de parcours plus courts, les routes nationales doivent être aménagées. Le projet soumis à votation prévoit des investissements de plusieurs milliards de francs pour construire de nouvelles routes et élargir celles qui existent déjà, afin de gérer plus efficacement le volume du trafic.

Une infrastructure axée sur la voiture

Les partisans de l’extension argumentent que les routes nationales constituent un élément central de l’infrastructure suisse. Ils ont raison. Les constructions destinées aux transports occupent environ un tiers de la surface urbanisée (OFEV 2023). Les routes représentent 88 pour cent de cette surface. L’infrastructure suisse est donc fortement axée sur la voiture. En comparaison, le train n’occupe que 10 % de la surface d’habitat. Si l’on considère que le train peut finir par accueillir beaucoup plus de personnes dans un espace plus restreint et que chaque voiture n’accueille le plus souvent qu’une seule personne, je pense qu’il serait préférable de développer les transports publics plutôt que les routes nationales, ne serait-ce que pour gagner de la place.

Les opposants au projet de votation craignent que l’extension des routes nationales n’entraîne non seulement la construction de précieux espaces verts, mais aussi une aggravation de la situation actuelle en matière de circulation. Selon le principe suivant : plus l’offre routière est importante, plus le volume de trafic est élevé. Cependant, ils ne rejettent pas non plus la voiture comme moyen de transport. Pour eux, la solution aux problèmes de circulation ne réside pas dans un choix entre la voiture et les transports publics, mais dans une combinaison intelligente de différents moyens de transport.

Combiner intelligemment les moyens de transport pour trouver une solution

En combinant intelligemment les moyens de transport, la mobilité commence dès la planification de l’itinéraire à la maison, sur le canapé. Les gens doivent réfléchir au moyen de transport le plus rapide, le plus efficace en énergie, le moins stressant et le plus écologique pour le trajet souhaité, par exemple. La voiture est-elle l’option la plus rapide et la plus économique pour se rendre dans les agglomérations ? Pour me rendre au travail, pourrais-je également utiliser un vélo électrique et faire en plus quelque chose pour ma santé ? Dois-je impérativement être au bureau à 8 heures et m’entasser dans un train bondé ?

En ce qui concerne justement les déplacements professionnels, il existe pour les employés de bureau de très nombreuses possibilités de désengorger le trafic routier et ferroviaire avec les horaires flexibles, la homeoffice, les espaces de co-working et les vidéoconférences. Il ne faut donc pas hésiter à discuter avec son employeur des trajets domicile-travail. Avec la prise de conscience écologique croissante de la population, les entreprises font meilleure figure auprès des employés si elles misent également sur une gestion durable dans le domaine de la mobilité.
La mobilité combinée permet donc de réduire le trafic individuel sur les longues et les courtes distances. En même temps, elle offre des solutions flexibles pour ce que l’on appelle le « dernier kilomètre ». « Dernier kilomètre » signifie que les gens utilisent le train pour les longues distances avant de passer aux transports locaux ou aux vélos. Pour cela, il existe déjà de nombreuses offres de partage et de location directement dans les gares.

Viser des solutions de mobilité à plus long terme

Dans le débat sur l’extension des routes nationales, il ne faut pas seulement considérer les avantages à court terme. Il s’agit également de savoir comment la mobilité du futur peut être organisée de manière durable. La votation devrait inciter l’ensemble de la population à réfléchir de manière critique à son propre comportement en matière de mobilité. La mobilité durable ne s’oppose pas à l’utilisation des voitures et des routes. Mais elle s’engage explicitement pour des solutions de mobilité qui sont bien pensées à long terme, économiques, écologiques, peu encombrantes et socialement orientées. Pour ces raisons, une mobilité durable et intelligemment combinée est bien plus en accord avec les valeurs chrétiennes que l’extension prévue des routes nationales.


Photo: AI (Dall-E)

 

 

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Les deux projets de loi sur le droit du bail sur lesquels nous voterons le 24 novembre 2024 risquent de faire encore grimper les loyers des logements.

Ces dernières années, on a assisté à une véritable explosion des loyers, en particulier dans les villes où les logements sont rares. L’une des principales raisons en est l’augmentation illégale du loyer après un changement de locataire. S’il n’y a pas d’augmentation de la valeur du logement (rénovation importante), les locataires suivants ont en fait droit au même loyer que leurs prédécesseurs. Mais de nombreuses personnes concernées ne le savent pas ou n’osent pas réclamer le loyer précédent. Car cela implique une longue procédure – et ce dans une relation de dépendance avec le bailleur. Qui veut se fâcher avec le bailleur ? Les bailleurs sont conscients de cette dépendance et osent parfois même, sans changer de locataire, simplement augmenter le taux d’intérêt de tous les locataires. Dans certains cas, ils y parviennent. Dans les régions où le logement est rare, le modèle des « chasseurs de logement » est également utilisé : Des entrepreneurs individuels proposent aux personnes qui ont peu de temps de trouver rapidement un logement grâce à leurs relations avec les bailleurs, à condition que le loyer initial ne soit pas contesté. Autre méthode : après le départ d’un locataire, l’appartement n’est plus loué qu’avec des contrats d’un an en chaîne. Les familles qui ont loué un tel appartement ne peuvent pas se permettre de contester le loyer, car dans ce cas, le contrat de location risque de ne pas être reconduit.

Les deux projets qui seront débattus le 24 novembre 2024 affaiblissent les droits des locataires, ce qui aggrave encore la situation sur le marché du logement.

Résiliation sans délai pour les colocations ?

Le premier projet demande des règles plus strictes en cas de sous-location « à cause de plateformes en ligne comme Airbnb ». Or, il est déjà interdit par la loi de sous-louer un appartement à des fins lucratives. Les propriétaires peuvent donc déjà empêcher que leur appartement atterrisse sur Airbnb. Le durcissement prévu touche en revanche les personnes qui vivent en colocation (WG). Tout changement de locataire devrait à l’avenir être signalé par écrit (courrier postal) dans les délais impartis. En cas d’oubli ou si l’annonce est faite par e-mail ou par téléphone, le locataire peut être résilié – et ce dans les 30 jours. C’est fou ! Avec cette modification de la loi, il s’agit sans doute plutôt de créer de nouveaux motifs de résiliation afin de pouvoir augmenter le loyer sans augmentation de valeur lors d’une nouvelle location.

Les deux projets qui seront débattus le 24 novembre 2024 affaiblissent les droits des locataires, ce qui aggrave encore la situation sur le marché du logement.

on à la résiliation facilitée en cas de « besoin personnel ».

Le deuxième projet prévoit que le motif de résiliation du bail ne doit plus être « urgent », mais seulement « important et actuel ». Cette modification du droit du bail vise elle aussi à se débarrasser plus rapidement des locataires afin de pouvoir exiger un loyer plus élevé lors de l’arrivée d’un nouveau locataire. Aujourd’hui déjà, la résiliation pour cause de besoin personnel est utilisée de manière abusive : Des appartements sont loués après une résiliation à des personnes de paille qui sont censées avoir un lien de parenté avec le bailleur, afin de pouvoir relouer les appartements peu de temps après à un taux d’intérêt plus élevé. L’acceptation de l’objet de la votation permettrait de développer ce genre d’arnaques.

Cet article de la « Republik » fournit une recherche très approfondie sur les projets de loi sur les loyers .

Foto de Scott Graham sur Unsplash