Consommation : des expériences plutôt que des objets – mais souvent tout aussi consuméristes

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Dans mon entourage, j’observe un changement intéressant : les possessions matérielles semblent de plus en plus superficielles et non durables et sont donc décriées. Les influenceuses minimalistes comme Marie Kondo suscitent l’enthousiasme avec leur idée de réduction radicale des possessions. Renoncer à la possession devient une vertu.

Mais qu’est-ce qui le remplace ? Non pas le renoncement à la consommation, mais un changement de forme : au lieu de collectionner des choses, nous courons après des expériences – et pensons ainsi être moins orientés vers la consommation. Mais le consumérisme continue de vivre – simplement sous une nouvelle forme.

Vous êtes-vous déjà retrouvé dans l’appartement d’une personne âgée, débordant de petits objets, de souvenirs et de babioles ? Le coquillage géant artificiel de Majorque, les cadeaux des petits-enfants, le collier du chat de la famille décédé depuis longtemps, un numéro poussiéreux du magazine « Schweizer Familie » de 2014. Dans les générations précédentes, collectionner et garder était une expression de sollicitude, de souvenir et de constance.

De la consommation de possession à la consommation d’expérience

Ou bien connaissez-vous la blogueuse fitness souriante qui présente dans chaque vidéo une nouvelle tenue aux couleurs assorties, avec montre de sport et tapis de sol, et qui arrange une image impeccable ? La mise en scène va de pair avec un matérialisme plat – un idéal vissé par l’influencetum américain.

Dans mon environnement plutôt terre à terre et alternatif, il semble que l’on ait dépassé ces formes de consommation. Laisser derrière soi la superficialité du matérialisme, cela semble progressiste. Les possessions matérielles et leur exhibition sont en revanche considérées comme inauthentiques, prétentieuses, dispendieuses et même égocentriques, ce qui est absolument méprisé, surtout dans le contexte de la modestie volontiers mise en avant par une partie de la société.

Mais à la place des choses, il y a autre chose : dans l’esprit de « je suis ce que je vis », nous courons d’un temps fort à l’autre. En matière d’esprit d’entreprise, nous sommes en effet des champions, c’est du moins ce que j’observe dans mon entourage.

Une nouvelle expression du même esprit ?

Mais la consommation d’expériences est-elle vraiment une meilleure alternative, plus durable ? L’esprit de consommation qui se cache derrière n’est-il pas similaire dans les deux cas ? Car les expériences s’achètent aussi et sont mises en scène. Le « nouvel avoir » se manifeste par des moments, des photos, des expériences, des voyages et des certificats. La pression de la consommation demeure.

Dans l’esprit de « je suis ce que je vis », nous courons d’un temps fort à l’autre.

Le problème ne réside pas dans l’expérience en soi, mais dans la forte pression qui se cache derrière le fait de devoir avoir fait quelque chose de précis ou de devoir faire quelque chose tout court. Car cela va de pair avec le besoin de profiter au maximum du temps. Et il n’est pas rare que les expériences servent aussi un peu à la réalisation de soi et à la gestion de sa propre identité. Selon l’historien grec de l’Antiquité Antisthène, une conséquence générale est que ce que je possède me possède en retour1. Si je me définis par mes expériences, celles-ci commencent à me posséder en quelque sorte.

Des expériences qui consomment beaucoup de ressources

L’industrie des loisirs fait partie du système économique – la consommation reste son moteur. Selon Statista, le chiffre d’affaires de l’industrie suisse des loisirs a atteint un niveau record de plus de 20 milliards de francs en 2022. En moyenne, les personnes vivant en Suisse consacrent 2,7 heures par jour à des activités de loisirs2. Et souvent, nous consommons des expériences à cette occasion : Voyages, festivals, stations de sports d’hiver, centres de bien-être. La consommation d’expériences semble plus propre, car rien n’est ramené à la maison, mais toutes ces choses consomment de l’énergie, de l’espace et des ressources. Le souhait de laisser derrière soi un mode de vie axé sur la consommation ne peut donc pas être atteint en se détournant simplement du matérialisme. Il doit s’étendre au domaine de l’expérience.

Des sensations de bonheur avec une date d’expiration – la dispersion plutôt que la profondeur

Connaissez-vous ce sentiment : une excursion était agréable et pourtant il reste un vide ? De nombreuses expériences sont plates, éphémères, surexcitées – consommées, mais pas assimilées. Il en résulte de l’agitation, le besoin de se distraire, l’envie de passer à la prochaine activité. Nous surchargeons notre temps, mais la profondeur n’apparaît guère. Ce qui n’est pas particulier, nouveau ou intense ne nous comble pas. Le quotidien est dévalorisé.

La théorie de l’engrenage hédoniste décrit comment le sentiment de bonheur individuel des personnes change certes à court terme en raison d’une expérience positive ou négative, mais se stabilise ensuite rapidement à son niveau précédent. Cela signifie que même la plus belle expérience ne peut améliorer notre humeur générale qu’à court terme.

Ne serait-il donc pas plus judicieux, au lieu de courir d’un moment fort à l’autre, de travailler sur ce que l’on appelle le « set point », c’est-à-dire de s’occuper de l’état quotidien ? « Qui suis-je si je suis ce que j’ai et que je perds ensuite ce que j’ai ? » estimait Erich Fromm3. Qui suis-je si je suis ce que je vis et que l’expérience est ensuite passée ?

Qu’est-ce qui nous fait vraiment plaisir ?

Les expériences ne sont pas mauvaises – pas plus que les biens matériels en soi. Cependant, dans l’espoir d’un accomplissement ou d’une distraction, nous empilons souvent nos activités aussi fortement que les pages des journaux et des magazines non lus et les laissons sur cette pile de classement sans les traiter. Comme autrefois les choses, les activités servent maintenant un but qu’elles ne peuvent pas remplir. Dans le domaine de l’expérience, nous avons peut-être aussi besoin d’une Marie Kondo avec son « Keep only what sparks joy » – « Ne garde que ce qui allume la joie en toi » – qui nous aide à réduire et à faire de la place pour l’essentiel !

Car ce que nous recherchons en réalité, c’est la résonance intérieure et non le simple stimulus, la gratitude plutôt que le vide, la profondeur par la décélération plutôt que la superficialité. Le sociologue Hartmut Rosa voit la résonance (et non le ralentissement) comme une réponse à la « nécessité d’augmenter » du capitalisme moderne, dont fait également partie, à mon avis, la quête permanente d’expériences. La résonance se produit là où il y a une connexion réciproque, par exemple entre l’homme et l’environnement ou entre le corps et la psyché4. Dans ce sens, au lieu de simplement consommer des expériences, il faudrait leur donner un sens afin de générer de la résonance. Concrètement, cela peut signifier placer la communauté au-dessus des événements, créer des espaces relationnels plutôt que des espaces d’expérience ou encourager le voisinage non pas par des méga-événements, mais par des rencontres quotidiennes.

Rester dans l’être plutôt que dans le faire ou l’avoir

Celui qui est constamment en quête de sensations fortes s’agite dès qu’il ne se passe rien – même dans sa relation avec Dieu. La culture biblique du sabbat aborde précisément ce thème : elle ne met pas seulement l’accent sur le but du repos et de la détente, sur la pratique consciente d’activités spécifiques ou sur le renoncement à de telles activités, le sabbat les associe également à l’examen de ses propres racines et de son identité5. Le sabbat est donc une question d’être et non de faire ou d’avoir. Nous savons que notre plénitude vient de Dieu et non de l’expérience. La « vie en abondance » que Jésus promet en Jean 10,10, nous la trouvons dans la relation avec lui. Mais c’est justement pour cela que nous créons peu d’espace.

Un nouveau mouvement minimaliste ?

En même temps, nous ne devons pas nous laisser priver des belles choses que Dieu nous offre ou nous permet de faire. Dans sa lettre à Timothée, Paul s’oppose à la tendance à l’ascétisme en écrivant : « Car tout ce que Dieu a créé est bon, et rien de ce qui est reçu avec action de grâces n’est condamnable »6. La clé réside ici dans l’action de grâces et celle-ci, j’en suis convaincu, ne peut être sincère que si l’on a conscience de ce que l’on reçoit. Nous revenons ainsi à un principe de base de la consommation saine : la consommation consciente, y compris dans le domaine de la consommation expérientielle.

Je pense que nous devrions appliquer les principes du minimalisme – durabilité, frugalité, réduction, libération, renoncement et espace pour l’essentiel – à notre culture des loisirs. Une réduction de la consommation dans le domaine des activités ne fait pas seulement du bien aux ressources mondiales, mais aussi à notre propre hygiène mentale. Même si la réponse à la question « Que fais-tu le week-end ? – « Tout simplement rester tranquillement à la maison » – ne semble pas (encore) très attrayante : c’est peut-être là que réside une voie vers une véritable profondeur, une résonance et un enracinement.

Cet article est d’abord paru sur INSIST.

Photo de Kamil Pietrzak sur Unsplash

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