La Suisse, un pays chrétien ?

~ 16 min

Avec une force étonnante, les cloches de l’église retentissent à travers tout mon voisinage. En particulier les dimanches matins elles sonnent avec tant d’impétuosité qu’elles réveillent même le dormeur le plus endurci. Alors que je m’en plaignais, un chrétien me répondit de cette manière: « Nous devrions nous réjouir du bruit de ces cloches car elles nous rappellent, à nous les Suisses, que nous vivons dans un pays chrétien ». Dans un pays chrétien, nous? – Cette idée éveilla en moi un petit soupçon. Que signifie être un pays chrétien ? Et si tant est que nous parvenions à définir ce qu’est un pays chrétien, la Suisse en fait-elle partie ?

1. Les Suisses sont-t-ils chrétiens? Premier critère.

Au fait, quand un pays est-t-il vraiment un pays chrétien? Pour beaucoup la réponse est : lorsque dans ce pays, il y a beaucoup de chrétiens. Ce critère se base sur ce principe suivant : « La somme des parties forme un tout ». Lorsque tous les habitants ou une grande partie d’entre eux, ou plus que la moitié sont chrétiens, alors on peut dire que ce pays dans son ensemble est chrétien. En plus du simple calcul arithmétique, d’autre éléments entrent en ligne de compte : dans un pays où il y a beaucoup de chrétiens, les lois sont édictées en conséquence, la culture, l’air que l’on respire aussi sont empreints de chrétienté. Pour cela il est souvent dit qu’un pays qui met en pratique des valeurs chrétiennes en politique et dans la société est de fait un pays chrétien.

Un premier critère pour un pays chrétien serait alors celui-ci : un pays dans lequel d’une part beaucoup de chrétiens vivent et, d’autre part, les valeurs chrétiennes revêtent un rôle important pour la société.

a) Aujourd’hui

Alors, selon ce critère, la Suisse est-elle un pays chrétien? Pour répondre à cette question, il faut savoir tout d’abord ce que signifie être chrétien. Si on le demande aux chrétiens, ils relèvent toujours qu’être chrétien signifie plus qu’assister par formalité à la messe ou au culte de Noël. Être chrétien signifie savoir poser un jalon et changer sa façon de vivre, pouvoir dire à Dieu : pardonne mes fautes. Recevoir de sa part une certaine forme d’insouciance, de joie et de force libératrice. Vivre au quotidien avec Jésus, dans son amour et avec son Esprit, et bien d’autres choses encore. Combien d’habitants en Suisse sont-ils imprégnés de cette vision ? Où y a-t-il en Suisse un endroit dont les rues seraient emplies de personnes chrétiennes ? Je n’en ai encore vu aucun.

Et parce que la société est toujours formée et imprégnée par ses citoyens, nos lois, notre société, notre culture ne sont pas dirigées par des objectifs chrétiens (et lorsqu’elles le sont, la motivation à l’origine des actes n’est pas chrétienne). Dans notre société suisse, il souffle beaucoup d’esprits – des bons et des mauvais : la cupidité, l’amertume, mais aussi l’honnêteté, l’amour de la nature, l’envie de se divertir, etc. Parmi tous ces courants forts, le souffle de Jésus n’est qu’une petite brise.

Beaucoup de chrétiens utilisent deux définitions différentes du fait d’être chrétien et des valeurs chrétiennes, selon qu’ils parlent de la Suisse comme d’un pays très majoritairement chrétien ou bien qu’ils partagent leur foi ponctuellement lors d’un culte ou dans une cellule de prière. Dans le premier cas, la Suisse est considérée comme chrétienne par le seul fait qu’une minorité assiste parfois au culte ou à la messe ou parce que nos lois, à l’instar des dix commandements, interdissent le meurtre.

b) Hier

Certains lecteurs devront l’avouer: la Suisse aujourd’hui n’est plus peuplée de chrétiens. Ils répliqueront que la situation était tout autre lors des siècles passés. Et puis ils ajouteront que notre culture actuelle s’est nourrie de siècles de chrétienté et qu’elle en est imprégnée.

Voici trois éléments de réponse : premièrement, jusqu’à quel point une personne chrétienne peut-elle bénéficier de la foi de ses ancêtres ? Dans quelle mesure doit-elle elle-même trouver le chemin de Dieu ? Deuxièmement, quel est encore l’influence au 21ème siècle de Nicolas de Flue ou de Jérémias Gotthelf? Troisièmement, et c’est là la réplique la plus importante: nos racines sont-elles vraiment chrétiennes? Qui a imprégné l’Occident, des prédicateurs fidèles à la Bible ou des personnes avec une attitude certes pieuse mais imprégnée de superstitions? Quelques Mennonites pacifiques ou bien une cohorte de nobles belliqueux ? Matthias Claudius ou Denis Diderot ? On pourrait poursuivre l’énumération. Comparons tout d’abord ce que Jésus a légué au monde et ce qui a imprégné ou imprègne encore la société, le quotidien et les êtres humains dans notre Occident soi-disant chrétien. Ne faut-il pas se demander si, au cours de ce passé chrétien si souvent cité de la Suisse, le large chemin n’a pas été emprunté par une majorité d’hommes et si la route étroite de la nouvelle vie que Dieu aimerait ouvrir aux croyants n’a changé qu’une infime partie des gens, de la culture et de la politique.

On dirait ainsi qu’aujourd’hui comme par le passé, une grande partie de la population suisse doit encore accepter l’Evangile, car elle ne l’a pas encore reçu. Ainsi la société, la politique et la culture n’ont jamais vraiment été orientées en fonction de buts chrétiens. Si on mesure la « chrétienté » d’un pays par le fait que ses habitants, son gouvernement, sa vie publique sont imprégnés de la foi en le Dieu d’Abraham, alors on ne peut pas affirmer que la Suisse est un pays chrétien.

2. La Suisse est-elle chrétienne? Deuxième critère

Il y a des chrétiens qui désignent la Suisse comme une terre chrétienne, même s’ls voient et déplorent que les Suisses ont perdu l’influence due à la foi en Jésus, si tant est qu’ils l’aient eu un jour. Ces gens entendent par un pays chrétien autre chose qu’un pays où vivent un certain nombre de chrétiens. Cet autre point de vue souligne que dans notre pacte national et dans notre législation nous nous en sommes remis à Dieu et que Dieu a béni la Suisse. Tout comme un individu peut se convertir à Dieu, une nation aussi (à l’instar d’une personne), peut entrer en relation étroite avec Dieu. Le fait que les Suisses ont individuellement délaissé leur Dieu ne joue aucun rôle. La Suisse dans son entité est et demeure l’enfant de Dieu (ainsi l’expriment bon nombre de chrétiens). Ce second critère nous montre que ce qui caractérise un pays chrétien ou pas,ce n’est pas seulement le fait que l’une ou l’autre de ses parties le sont mais que ce pays entretient une relation toute particulière avec Dieu.

a) Drapeaux, pacte national et préambule

On peut vraiment se demander si la Suisse est un pays chrétien selon le second critère. Très souvent, afin d’étayer cette affirmation, on nous renvoie à la croix inscrite au beau milieu de notre drapeau. On devrait cependant se demander si le canton de Neuchâtel est un canton plus chrétien que le canton de Berne, car, sur le drapeau de Neuchâtel il y une croix à la place de l’ours bernois. Cela suffit-il à faire la différence ?

En tant que critère complémentaire qui défendrait l’idée d’une Suisse chrétienne, on évoque souvent le pacte des confédérés de 1291. Il n’est pas si évident que ce pacte nous ait amenés plus près de Dieu. Ce pacte est un document qui édicte un accord de défense entre trois vallées et qui énonce aussi les dispositions de droit applicables. Rien à voir avec un pacte conclu avec Dieu, comme voudraient nous le faire croire les chrétiens de nos jours1 . Naturellement, ce pacte débute par « Au nom de Dieu amen » et puis on y ajoute : « Ainsi Dieu le veut ». Cependant, rien ne permet d’affirmer sans ambiguïté que ces deux formulations représentent une alliance militaire et juridique en vue d’un pacte avec Dieu. L’appel à Dieu dans le préambule de ce pacte revêt un caractère plus modeste : on invite Dieu, en l’espèce en tant que Seigneur ou que témoin (ou quelque chose de la sorte) à être le témoin du pacte entre ces trois vallées. Et lorsqu’on songe à ces centaines de pactes et d’unions qui foisonnaient dans ces contrées au Moyen-Âge, on s’aperçoit que ces pactes ont tous fait référence à Dieu (les adversaires des Suisses n’étant pas en reste pour cela). Alors on peut reconnaître que ce préambule ne présentait que partiellement la portée d’une parole sérieuse et religieuse mais avait en grande partie un caractère coutumier. Il faut aussi être conscient que ce pacte national n’était en fait pas le véritable pacte de la fondation de la Suisse. Autrefois il y avait un éventail de pactes similaires. Vers le 19ème siècle, on prit simplement cet exemple particulièrement frappant comme document fondateur de la Suisse.

On peut ensuite lire le préambule de la Constitution fédérale: « Au nom de Dieu le Tout Puissant ». La Bible nous le dit : Dieu n’accorde pas d’importance aux attestations officielles mais ce qui lui importe le plus, ce sont l’attitude de nos cœurs et les actes qui en découlent2 . Rien ne permet d’affirmer que ce préambule devrait rendre la Suisse plus chrétienne. D’autant moins lorsqu’on se penche vraiment sur la signification d’un tel préambule. Du point de vue juridique, il est clair que ce préambule n’a aucune force de loi, sa valeur est toute symbolique. Lors des consultations parlementaires, il est ressorti clairement que cette injonction n’est pas seulement dédiée au Dieu des chrétiens, Ainsi l’ancien conseiller fédéral Koller : « chaque personne peut ….donner au Dieu tout puissant un sens tout personnel ». La plupart des parlementaires étaient d’avis que cette expression « Au nom de Dieu le tout puissant », démontrait avant tout les limites de l’action humaine et rien de plus. Qui peut lire les prophètes et en même temps déclarer que ce préambule honore Dieu alors qu’il utilise un mot bateau et qui n’en est pas moins, selon le message du Conseil fédéral, une des raisons les plus importantes de notre tradition? Quelle nation peut se prévaloir de consacrer certes quelques mots à Dieu dans sa constitution mais , au quotidien, de se préoccuper avant tout de l’argent, de l’économie débridée et de la consommation effrénée ?

Par ailleurs nous sommes souvent renvoyés à cette idée que dieu a particulièrement béni la Suisse ; serait-ce là une preuve tangible ? Qu’est-ce qui pourrait expliquer que notre pays soit empreint de paix et d’un produit intérieur brut si élevé, si ce n’est la bénédiction divine ? Cependant la Bible est pleine d’allusions et de plaintes sur les non croyants qui boivent et mangent3 alors que ceux qui suivent les traces de Dieu doivent courber l’échine. Naturellement il y a aussi dans la Bible plein d’exemples où Dieu bénit les siens avec des biens terrestres4 . Que l’on trouve dans la Bible ces deux côtés des choses nous démontre que l’on ne peut pas affirmer tout simplement: nous allons bien, c’est le fait de Dieu. Notre prospérité pourrait tout aussi bien provenir des suites de nos bonnes comme de nos mauvaises actions ou bien, nous la devons simplement à la grâce librement donnée par notre Dieu. Selon le second critère aussi, nous ne trouvons pas de raisons de considérer la Suisse comme appartenant à Dieu d’une manière spéciale5 .

b) Petite parenthèse: Des pays peuvent-ils être interlocuteurs de Dieu ?

Voici une parenthèse concernant un aspect annexe important, quoique complexe.

Nous sommes souvent dans l’embarras lorsqu’il faut examiner si des pays appartiennent à Dieu. On ne peut pas dire qu’un pays comme la Suisse ou un autre pays est chrétien sans considérer que nous les gens modernes, ne sommes plus du tout habitués à nous définir en tant que groupes, générations ou nations comme des entités organiques. Pour nous, les communautés sont seulement un rassemblement d’individus. Pour les gens du 21ème siècle c’est une pensée réductrice que de désigner un pays (et non un individu) comme partenaire de Dieu. Notre façon de penser, totalement individuelle et libérale, peut difficilement accepter, comprendre et surtout réaliser le fait que des communautés aussi peuvent entrer en relation avec Dieu. La Bible évoque pourtant souvent la communauté comme n’étant pas la somme d’individus mais en tant que personne à part entière. 6

Naturellement, il n’est pas aisé de comprendre comment notre Dieu s’adresse à une communauté (on se demande même parfois si cela est possible). Autrefois, Dieu parla par exemple à des gens qui se considéraient plus en tant que « Nous » qu’en tant que « Je ». Comment peut-on transposer ce discours pour nous autres, individus du 21ème siècle, qui nous définissons plus par « Je » que par « Nous » ? Les communautés auxquelles Dieu s’est adressé autrefois étaient complètement autres que celles d’aujourd’hui. Autrefois, les tribus, la famille élargie et la royauté comptaient bien plus que de nos jours. Aujourd’hui ce sont des nations démocratiques et multi-ethniques ainsi que des cercles d’amis et des cellules familiales. Il faut aussi songer que lorsque Dieu s’adresse à son peuple, il ne s’adresse pas toujours au peuple en tant que tel. On peut dire aujourd’hui que la Suisse a dit non à la CEE car une majorité de ses individus a dit non à la CEE. Par ailleurs, ce qui sème le trouble, c’est que Dieu a instauré une relation toute particulière avec Israël. Pouvons-nous apprendre quelque chose, à partir de cette relation spéciale, sur la relation que Dieu entretient avec d’autres nations ? Un autre point important est que Dieu nous a donné une autre façon de penser à travers le Nouveau Testament. La conversion, le baptême par l’eau et le baptême de l’Esprit, ainsi que la relation de chaque individu avec Dieu ont, de nos jours, une toute autre priorité que dans l’Ancien Testament. Malgré ces questions qui nous brouillent un peu l’esprit, il n’en demeure pas moins que Dieu s’adresse aussi bien aux seuls individus qu’aux peuples tout entiers.

c) Conclusion: la Suisse n’est pas un pays chrétien

En conclusion pour tout le texte ci-avant, nous pouvons affirmer ceci: nous avons considéré deux critères pour savoir ce qui rend un pays chrétien. Le premier critère conçoit un pays comme chrétien lorsqu’une grande partie de sa population l’est, et que la société de ce pays est empreinte de valeurs chrétiennes. Le second critère conçoit un pays comme encore chrétien même si presque plus personne ne suit les commandements de Dieu activement mais que ce pays en tant que pays est entré en relation avec Dieu. Selon ces deux critères, la Suisse n’est pas un pays chrétien.

3. Une Suisse sans Dieu

C’est un fait, les chrétiens ne sont pas les représentants d’une véritable identité chrétienne de la Suisse. Non, ils vivent dans un Etat séculaire, libéral et constituent une de ses nombreuses minorités. Il est bon de comprendre ce changement de paradigme. Regarder la vérité en face a un effet libérateur.

a) Construire une nouvelle maison au lieu de se lamenter sur les débris de l’ancienne

Nous les chrétiens ne devons plus d’une façon anxieuse défendre au nom de tout le peuple suisse cette « façade chrétienne ». Non, nous avons le droit de laisser dépérir les anciennes racines et de semer un grain nouveau ! Jésus n’a pas prêché le maintien d’une situation donnée, mais il a prêché la conversion. En Suisse il n’y a pas beaucoup de choses à conserver en ce qui concerne la libération par Jésus et les valeurs qu’il nous a apportées. Ce message et cette éthique doivent tout d’abord être apportés aux Suisses et aux Suissesses et ils ne peuvent être « réactivés ». Relevons ici la triste formulation que le Comité d’Action CH-CH a choisie pour désigner l’héritage chrétien de la Suisse comme étant un « grand capital aux fondements étendus ». Comment peut-on vouloir qualifier la foi de capital, à savoir quelque chose que nous possédons indépendamment de notre constitution actuelle ? Souvent, dans le contexte de la « répartition des responsabilités », les églises sont instamment incitées à jouer les gardiens du temple ou les garants de l’Occident chrétien. Mais les chrétiens ne devraient pas dépenser leur temps et leur énergie pour gérer ou freiner la faillite de l’Occident. Au lieu de perdre leur temps pour le maintien d’une culture (culture qui n’a aujourd’hui que peu de liens avec le charpentier et le fils de Dieu: Jésus), ces chrétiens devraient se concentrer à nouveau sur Dieu, laisser le soleil se coucher sur l’Occident et devraient proclamer la lumière de l’étoile du matin. Une lueur d’espoir pointe à l’horizon; c’est que dans ces derniers temps, les chrétiens englobent de plus en plus la Suisse dans leurs prières.

b) Ne pas cacher la véritable situation

Il est bon d’avouer que la Suisse chrétienne détient beaucoup plus de faux-fuyants que de substance même. Ce n’est qu’en prenant conscience de notre éloignement et de nos manques vis-à-vis de Dieu que nous pourrons retourner à Lui. Cet éloignement de Dieu est une réalité ; nous en voulons pour preuve ce musulman qui écrit sur ses expériences faites en Suisse. Il affirme en substance : « Que la Suisse soit un pays chrétien admettons-le, mais on ne ressent pas du tout au quotidien cet état de fait. Les valeurs chrétiennes typiques comme le don de soi à Dieu, l’amour du prochain etc. sont de plus en plus reléguées au second plan et font face à des valeurs dites modernes telles que capitalisme, égoïsme et sécularisme. Nous les musulmans vivons dans un monde où la priorité est mise sur le bien-être matériel, alors que l’accent devrait être mis sur le côté spirituel7 .

Les chrétiens devraient être les premiers à refuser cette hypocrisie qui voudrait que notre pays soit un pays chrétien. Combien de nos concitoyens se confortent dans l’idée que nous serions des chrétiens et que nous tiendrions bien haut l’étendard des valeurs chrétiennes sans qu’ils aient eux-mêmes ressenti le vent nouveau de l’Evangile ? Pourquoi nous, les chrétiens, soutenons-nous cette hypocrisie ? Pourquoi des politiciens chrétiens souhaitent-ils invariablement que la constitution fédérale débute par « au nom de Dieu », bien que cet état de fait, dans un pays « païen » comme la Suisse, est une manière d’aveugler le profane ? C’est une réalité qui devrait nous inviter à une sorte de repentance8 .

Pourquoi les chrétiens tendent-ils joyeusement la main lorsque la Suisse officielle veut mettre une cape autour d’elle comme d’autres portent une croix autour du cou en guise de talisman? Certains chrétiens n’espèrent-ils pas à un renouveau spirituel venant d’en-haut, ce qui n’est autre qu’une expérience de l’Esprit de Dieu, lorsqu’ils parlent de leur rêve d’une Suisse officielle qui se donne à Dieu. Pourquoi nos politiciens se basent-ils dans leur argumentation toujours et à nouveau sur des valeurs chrétiennes en martelant que nous sommes un pays chrétien? Bien que ces valeurs chrétiennes ne convaincront jamais un non-chrétien, que son pays d’origine soit appelé chrétien ou non. Pourquoi donc la NZZ9  encense-t-elle une constitution fédérale, qui se voudrait le fondement de nos valeurs chrétiennes, bien qu’il soit clair que la foi, en Suisse, est seulement superficielle et au grand jamais un « fondement ».

Bon nombre de chrétiens apprécient peut-être inconsciemment que le pathos des cercles officiels, étatiques et des puissants se répercute sur eux : « Nous, nous valons quelque chose, toute la Suisse repose sur notre foi ». Cependant cette sentimentalité ne correspond pas à l’esprit de la Bible (pas plus qu’à la réalité). De même beaucoup de chrétiens confondent leur amour pour la Suisse (ce qui, en soit, est beau si cela ne ressemble pas à de l’égoïsme), avec leur amour de Dieu, ce qui fait que cette patrie « dans la foi » ne peut plus être différenciée d’avec la patrie des alpages et des pâturages. Il se peut qu’un brin de romantisme vienne s’ajouter à cela, comme chez Novalis: « Il était des temps heureux durant lesquels l’Europe était une contrée chrétienne et où l’esprit de la chrétienté soufflait parmi les hommes ».10

c) L’objectif: une voix chrétienne pour le renouveau

Cette partie de notre globe n’a jamais été construit d’humanité et ne l’est pas plus aujourd’hui, C’est pour cela que la minorité chrétienne de la Suisse ne doit pas être frustrée de tenter de restaurer quelque chose ou de se sentir comme la « caisse de résonnance » de l’âme suisse qui serait chrétienne. Non, cette petite voix chrétienne au milieu des voix modernes de la Suisse contemporaine doit être une voix qui apporte le renouveau. Une voix qui, parmi toutes sortes de maux, doit changer l’attitude de tout un chacun et de la société tout entière. Une voix qui montre le chemin vers le Christ et vers ses valeurs.

Novembre 2004, Dominic Roser, économiste

 


2. cf. p. ex. Amos 5.21-27 ou Matthieu 6.5-6

3. p. ex. Psaume 73.4. Psaume 8.14. Corinthiens 11. 23-28

4. p. ex. Deutéronome 11. 13-17. 2. Chroniques 1. 11-12. Psaume 37.9

5. Lorsque quelqu’un affirme cependant que la Suisse est très proche de Dieu, on devrait songer aussi que d’autres pays le sont encore beaucoup plus. Combien de pays d’Europe comptent des éléments dits chrétiens dans leur histoire ? Combien par exemple ont eu les rois qui priaient ou d’autres références chrétiennes ? Qu’en est-il des Etats-Unis ? La Suisse a-t-elle vraiment une longueur d’avance dans ce domaine ?

6. Des repères importants dans la Bible comme Deutéronome 32. 8-9, Josué 43. 1-4, Zacharie 11.10 Il en ressort clairement que Dieu a conclu un pacte avec le peuple d’Israël.

7. http://www.barmherzigkeit.ch/Leseproben/muslime_in_der_ch.html. L’humaniste juif Erich Fromm donne une perspective extérieure intéressante et similaire dans son ouvrage: « Avoir ou Etre ». Il est d’avis que la conversion de l’Europe à la chrétienté est restée superficielle. Au mieux on pourrait dire que ce n’est qu’entre le 12ème et le 16ème siècle que l’on a pu déceler un changement dans les cœurs.

8.  Les sociaux-démocrates ont les premiers pris la peine d’attirer l’attention sur la réalité lors des pourparlers sur le préambule de la nouvelle Constitution fédérale. Jean Ziegler: « De quoi le Christ se plaint-il tout le temps? Des Pharisiens. Que font les Pharisiens, cette secte de semi-intellectuels à Jérusalem? Ils proclament la gloire de Dieu. Ils proclament et ils font le contraire. Ici, on veut de nouveau nous engager dans la voie proclamatoire. Ce préambule est une absurdité. Il n’y a pas d’Etat chrétien (…). Ce matin, nous avons l’occasion de mettre fin à cette effroyable hypocrisie (…) ». Andreas Gross: « dans ce sens l’appel à Dieu est devenu un bla-bla généralisé. (…) Ainsi, je le pense, nous rendons à la tradition un bien mauvais service. J’irai encore plus loin en déclarant: le premier alinéa est une absurdité ». Hans Widmer: « le grand théologien Karl Barth a déjà constaté dans les années quarante que le peuple contemporain des confédérés ne représente pas une unité de foi mais plutôt un mélange étonnant de peuples (réformés, catholiques, idéalistes, matérialistes et autres) ».

9. NZZ am Sonntag, 22 juin 2003

10. Die Christenheit oder Europa – Ein Fragment (1799).

Photo by Seb Mooze on Unsplash

0 réponses

Laisser un commentaire

Rejoindre la discussion?
N’hésitez pas à contribuer !

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.