~ 5 minLa force de la non-violence
« Résistez, résistez, Résistez », c’est en scandant ces mots que ceux que les médias nomment le bloc noir, ont encouragé une partie des leurs à casser le long de la manifestation du 1er juin : qui en s’attaquant à un «morceau» de Poste, qui à une façade de bâtiment bancaire, qui à une station d’essence, qui à un arrêt de bus (et tout de suite remis à l’ordre par ses camarades !), qui à un panneau de circulation.
Nous étions parmi eux à marcher ; nous étions avec eux à échanger une parole, à limiter le nombre des munitions (pierres résultant de la destruction d’un muret, morceaux de bois…), à nous interposer entre eux et les bâtiments visés… (tout près d’eux comme des basketteurs !) laissant sprayer, mais tentant de nous interposer quand le projet était de casser. Evidemment, nous étions trop peu. Mais où nous intervenions ? en s’entraidant en cas d’amorce de conflit, les choses se détendaient ! Nous agissions individuellement, mais savoir les autres à proximité était précieux.
Une alternative à la violence répétitive du monde
Parmi ces hommes et ces femmes en partie masqués ou cagoulés, souvent un bâton à la main, pour certains un casque à la ceinture, je me suis toujours sentie en sécurité, même si nos compagnons étaient remplis d’une immense colère, et de haine aussi. L’un d’eux me disant : «Votre non-violence, cela ne sert à rien. Si mon grand-père, travailleur dans les mines, ne s’était pas opposé par la violence, on serait encore dans cet esclavage.». Je mesurais le privilège de ma situation : voir un ad-venir autre que la violence répétitive du monde.
Notre petit groupe hétéroclite ? créé pour l’occasion ? marchait avec ce qu’il me plaît d’appeler le bouclier de la Confiance, soutenu par la prière de beaucoup, les uns à notre permanence de Genève, d’autres ailleurs en Suisse, et bien sûr dans mille lieux du monde. La force de communion est une grâce.
La vue d’appareils photos et de caméras rendaient fou furieux ces manifestants particuliers (un peu différents des 70 000 autres). Quand ils voyaient un appareil trop insistant, ils auraient été prêts à s’en prendre au propriétaire. A cause d’eux, je goûtais un peu ce qu’est la Liberté : marcher à visage découvert en nous affichant avec ces brebis « noires », sans nous préoccuper du fichier policier dans lequel nous tombions en ce jour. Cela avait peu d’importance. L’essentiel était d’être présent avec eux, ici et maintenant.
Quand on observe depuis l’extérieur ces 150 manifestants, on voit un groupe agressif, on imagine la menace qu’ils constituent, la peur qu’ils réveillent en nous. Pourtant, ce jour-là, il aurait suffi de 100 personnes paisibles simplement prêtes à marcher parmi nous au milieu d’eux, avec en plus une quinzaine de manifestants pratiquant ? comme nous tentions de le faire ? le « peace keeping », et la dynamique de violence du groupe aurait été non pas paralysée mais bel et bien dissoute ! Je suis certaine qu’il n’y aurait eu AUCUN DEGAT durant cette manifestation dont la police s’était volontairement écartée. De même, avant la douane de Vallard, la présence entre le cortège et les stations services d’une centaine de personnes, par exemple de gymnasiens sensibilisés à la non-violence, aurait suffi à éviter toute déprédation. La preuve. A la douane de Vallard, alors que tous les bâtiments étaient vitrés. Aucun n’a été cassé, car les autres manifestants, et le service d?organisation, ont constitué la protection la plus efficace.
Une médiation réussie, mais limitée
Notre groupe comptait encore six personnes lorsque nous sommes retournés en ville, du côté de Rive. Là, nous arrivions au milieu d’une confrontation police/manifestants. A plusieurs reprises, avec le service d?organisation bénévole et quelques parlementaires observateurs, nous avons pu nous interposer fructueusement. Ce qui occasionnait une petite bouffée de fierté… avant de se déplacer vers un autre point chaud, et de recommencer le tout avec persévérance et patience.
Placés tout près des manifestants et provocateurs (souvent des adolescents), nous avons eu à nouveau des moments privilégiés d’échanges. A ma question du pourquoi de son attitude, l’un d’eux a fait se retourner son copain. Sur son tee-shirt, en anglais, j’ai lu : « Je préfère mourir debout que vivre à genoux. » A quoi, j’ai répondu : « Je suis d’accord avec cela. C’est pourquoi je suis là, en face de toi, debout. » A cause de leur rage meurtrie au c?ur, ils m’ont touchée mes compagnons d’un jour. Et mon éc?urement est allé aux pseudo-badauds juste là en voyeurs, comptant les points et se lavant les mains de la violence à laquelle ils contribuaient par leur présence.
Quand la police anti-émeute (qui se trouvait toujours dans notre dos!) a chargé avec ses bombes assourdissantes, ces balles colorantes, etc. la soirée est passée dans une troisième phase, celle des combats de rue. Nous retrouvant à l’écart, nous avons décidé de repartir pour notre permanence en faisant un crochet par la gare (potentiellement chaud), ne déplorant que quelques éraflures et taches de peinture ! N’ayant plus les moyens de mener une action fructueuse, nous avons abandonné les rues basses à la violence des uns et des autres.
A lire les journaux, entendre les commentaires radio/TV, notre action (et celle des bénévoles de l’organisation) semble n’avoir servi à rien. Elle n’a pas même été mentionnée ! Pourtant, chacun de nous (dix personnes au total) avons pu expérimenter ? les uns pour la première fois, les autres une nouvelle fois ? la FORCE de la non-violence.
Pour moi, le bilan de la journée ne se chiffre ni en millions de francs, ni en tactiques policières, mais en nombre de relations privilégiées tissées de manière personnelle et intense l’espace de quelques instants avec l’un ou l’autre interlocuteur anonyme, effaçant toute autre préoccupation que ce c?ur à c?ur. Notre action se justifie dans l’interpellation (parfois irritée) qu’a suscité notre interposition pacifique, juste par notre corps, les mains nues et le visage découvert. Nous ne saurons jamais ce qui germera de ces moments partagés.
Plus que jamais, il s’agit de Résister? vous aussi, résistez à la violence, et à ce sentiment d’insécurité, d’impuissance que cultive et fait grandir en nous le monde (du pouvoir/des médias) avec le projet occulte de CASSER… l’Elan vital de notre Espérance.
Marie-Laure Ivanov, Lausanne, juin 2003