Pourquoi nous disons oui à la loi sur les médias – même si ce n’est pas avec enthousiasme.
Un paysage médiatique sain, c’est-à-dire un éventail de maisons d’édition indépendantes et diversifiées, avec des journalistes bien formés, est essentiel pour une démocratie comme la Suisse. En effet, il doit y avoir un débat public sur les thèmes politiques afin que tout le monde puisse être entendu et que des solutions communes puissent être trouvées. C’est la seule façon de trouver ce qu’il y a de mieux pour tous nos prochains. En même temps, ce n’est qu’ainsi que l’on peut découvrir la vérité. Ou comme le magazine en ligne Republik l’a formulé de manière pertinente : « La plus grande performance d’un système médiatique sain est justement ce que beaucoup lui reprochent : la production d’un mainstream. Ce qui signifie : un ensemble de faits, de valeurs et de règles de comportement communs, sur lesquels on peut ensuite se disputer. Si le mainstream se brise, on ne se dispute plus sur différentes interprétations de la réalité, on vit dans différentes réalités ».
Facebook ne remplace pas une salle de rédaction
Celui qui s’informe principalement dans les réseaux sociaux court rapidement le risque de rester coincé dans sa propre réalité (également appelée bulle). En effet, les « nouvelles » consommées quotidiennement et affichées dans le flux de Facebook, Twitter et autres ne sont pas les mêmes contenus que ceux affichés aux voisins et autres compatriotes. Ils sont composés individuellement pour chaque utilisateur par l’algorithme d’un grand groupe. Ce ne sont pas les rédactions locales qui décident de ce qui est pertinent, mais les programmeurs d’une entreprise qui a atteint sa taille grâce aux recettes publicitaires et qui en dépend toujours. Toutefois, on peut aussi tomber dans une bulle en consommant un (toujours le même) autre média.
Le pouvoir des médias doit rester réparti
Si les nombreux médias indépendants continuent d’être repris par les quelques grands acteurs ou rachetés quasiment comme des jouets par des milliardaires, nous rendons également un mauvais service à notre système démocratique. La formation de l’opinion est alors soumise aux intérêts des groupes et de leurs actionnaires, ainsi qu’aux intérêts des propriétaires individuels. Il n’est alors plus possible d’avoir des opinions divergentes ou de critiquer certains pouvoirs et les rapports de force de la société. Ce que cela signifie lorsque les médias, et donc la formation de l’opinion, sont entre les mains d’un petit nombre de personnes devient évident dans de plus en plus de pays : nous avons pris conscience du problème avec des magnats des médias comme Rupert Murdoch, qui a aidé Margaret Thatcher à percer en Grande-Bretagne, puis avec l’empire médiatique (ou le quasi-monopole) de Silvio Berlusconi en Italie, les entreprises de médias en Europe de l’Est et maintenant aussi les groupes de médias toujours plus grands en Europe de l’Ouest. En Amérique latine également, les médias sont en grande partie aux mains de la classe supérieure conservatrice. La formation démocratique de l’opinion est ainsi déformée et des intérêts particuliers obtiennent le pouvoir d’orienter la pensée de la population dans une certaine direction ou de réprimer les opinions critiques et les minorités.
Minimiser la dépendance vis-à-vis des fonds privés
La situation est également problématique pour la démocratie locale : une étude de l’université de Zurich a montré que lors de l’initiative sur la responsabilité des multinationales, les groupes de médias suisses ont publié beaucoup plus d’articles contre que pour l’initiative. Il est évident que les groupes de médias ne voulaient pas se mettre à dos leurs annonceurs solvables, qui auraient été touchés par l’acceptation de l’initiative. On peut ainsi se demander si, à l’avenir, les initiatives qui menacent les intérêts économiques des grands groupes auront une chance. Les subventions publiques peuvent tout à fait servir à minimiser de telles dépendances.
Le meilleur possible à l’heure actuelle
Pendant des années, une solution de subventionnement a été élaborée, d’innombrables groupes d’intérêts ont influencé le travail, les propositions ont été transmises de part et d’autre, jusqu’à ce qu’il en résulte finalement ce qui nous est présenté aujourd’hui comme loi sur les médias et sur lequel nous voterons en février. Désormais, la presse suisse sera soutenue à hauteur de 180 millions de francs par an (au moins pour les sept prochaines années), contre 50 millions auparavant. Les petits médias en ligne recevront 30 millions, les grands recevront une grande partie des 70 millions destinés à la distribution, et Keystone-SDA, l’école de journalisme, le Conseil de la presse, etc. recevront 30 millions supplémentaires. Personne n’est vraiment enthousiasmé par le produit final – c’est le propre des compromis. En fait, ce sont surtout les petits médias indépendants qui devraient être financés. Mais le Parlement suisse est ainsi fait que les lobbies économiques et les grands groupes peuvent exercer une forte influence. C’est probablement aussi parce que le financement des partis n’est pas transparent – une distorsion de la législation à laquelle on s’est attaqué depuis longtemps à l’étranger. Ainsi, la présente loi est la meilleure possible dans nos circonstances non épurées, même s’il est choquant que les grandes entreprises de médias reçoivent encore plus d’argent. Mais si elle est rejetée, aucune meilleure loi ne sera possible dans un avenir proche. Et ainsi, la concentration du pouvoir dans la formation de l’opinion se poursuivra.
Notre préoccupation particulière est que le discours public ne soit pas seulement celui des plus bruyants, mais aussi celui des minorités, des personnes économiquement faibles et d’autres groupes marginalisés. La question se pose donc de savoir si la nouvelle loi sur les médias favorise ou entrave cette préoccupation. Nous pensons qu’elle atteint cet objectif. Plus ou moins.
https://www.republik.ch/2022/01/05/mediengesetz/befragung
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