Un impôt biblique ?– Réflexions fondamentales
L’État et la fiscalité dans la Bible
Il est difficile de comparer l’État moderne avec les formes étatiques des temps bibliques. Aujourd’hui, le progrès technique et la mobilité permettent une organisation collective dont on n’aurait même pas rêvé à l’époque. La famille et le clan prenaient alors largement le dessus sur l’État.
Mais même à cette époque, des législations et des organisations collectives existaient. Ainsi, l’Ancien Testament reconnaît la nécessité de mener diverses tâches collectivement. Ceci concernait non seulement la vie religieuse, mais aussi le droit, la construction des routes et la sécurité. De même, la redistribution des richesses fait partie des lois de l’Ancien Testament, dès l’Exode et plus encore dans les Prophètes, en passant par les livres des Rois.
Si Jésus, dans le Nouveau Testament, reconnaît l’État comme une réalité fondamentalement nécessaire, il ne donne aucune indication quant à sa forme et son organisation.
Le défi de la pauvreté
Dans le message biblique, la solidarité est un thème récurrent dont la notion du « pauvre » est centrale. Même si certains passages engagent la responsabilité du pauvre pour sa pauvreté, ceux-ci sont rares : d’une part, dans les Proverbes, d’autre part, chez Paul, lorsque celui-ci recommande : « si quelqu’un ne veut pas travailler, qu’il ne mange pas non plus » (2 Thess. 3.10). Mais bien plus souvent, la pauvreté est présentée comme un mal de société accompagné de l’injustice sociale, voire de l’oppression.
Dès lors, aussi bien l’Ancien que le Nouveau Testament sont pleins d’exhortations à protéger les pauvres (physiquement, mais aussi juridiquement) et à partager nos richesses avec eux. Ainsi, nous lisons au sujet des pauvres : « Tu lui ouvriras ta main et tu lui prêteras de quoi pourvoir à ses besoins » (Deut. 15.8). Et dans Proverbes 21.13 : « Celui qui ferme son oreille au cri du plus faible criera lui aussi, et il n’aura pas de réponse. » Quant à Jésus, il explique à ses disciples selon quelle jauge ils seront jugés: « J’ai eu faim et vous m’avez donné à manger » (Matt. 25.35).
Les mesures fiscales de l’État
Afin de réduire et combattre la pauvreté, la Bible recommande d’abord l’engagement personnel sous forme d’aumônes. Ensuite, elle connaît également certaines formes de redistribution imposées par la loi :
- Tous les trois ans, la dîme ne servait pas seulement au paiement des Lévites, mais aussi à diminuer la pauvreté (Deut. 14.28–29).
- Le glanage après les récoltes était réservé aux pauvres (Lév. 19.10).
- Tous les sept ans, les champs devaient rester en friche. Le fruit en résultant appartenait aux pauvres (Ex. 23.11).
- Tous les sept ans, les dettes devaient être effacées, afin qu’il n’y ait pas « de pauvres parmi vous » (Deut. 14.4).
- Aucun intérêt ne pouvait être exigé aux autres Israélites (Deut. 23.20).
- Le jubilé : Le livre des Lévitiques ordonne de rendre tous les 50 ans aux propriétaires initiaux la terre vendue en raison de la pauvreté. Cette année « jubilée » permettait de rétablir une répartition équitable des terres (celle-ci remontant à l’occupation du pays de Canaan, lorsque chaque famille avait reçu son lopin de terre). En effet, dans l’agriculture de subsistance qui prévalait à l’époque, perdre son terrain constituait le premier pas décisif vers la paupérisation. Cette réforme foncière périodique permettait aux bénéficiaires de recommencer à zéro et à la société de prévenir l’injustice structurelle (Lév. 25.8–31).
Amour du prochain et solidarité
Dans le Nouveau Testament, le message central est l’amour du prochain qui se traduit concrètement par la solidarité. Des éléments pratiques pour sa mise en œuvre se trouvent dans le sermon sur la montagne, dans la parabole du bon Samaritain et dans la parabole du jugement des nations où Jésus indique selon quels critères ses disciples seront jugés (Matt. 25.31ss.).
Même si Jésus met en avant l’amour actif individuel, il ne dévalorise pas pour autant la solidarité collective. A aucun moment, il ne critique des régulations étatiques en faveur des pauvres et adopte même l’idée du Jubilé lors de son sermon à Nazareth (Luc 4.18). Ainsi, dans le Nouveau Testament, la solidarité garde toute sa signification personnelle et collective.
Des idées pour une fiscalité biblique
Une fiscalité fondée sur les principes bibliques de solidarité et de justice pourrait suivre les orientations suivantes :
Relever les défis collectifs
Pour certains besoins, les meilleures réponses sont collectives – étatiques ou supranationales. Tel est le cas pour l’accès aux prestations de base – santé, sécurité et éducation –, la conservation de la nature et de la subsistance humaine. Il est illusoire de vouloir répondre à ces besoins en s’en remettant uniquement aux forces du marché et à l’engagement privé de l’être égoïste qu’est le homo oeconomicus. Afin de relever ces défis en commun, il est indispensable de percevoir des impôts.
Le taux et la forme de l’impôt
Le message biblique ne donne pas d’indication générale quant au taux de la fiscalité. Celui-ci dépend du contexte et des besoins en présence. En principe, la fiscalité doit être aussi basse que possible et aussi élevée que nécessaire. Dès lors, une imposition progressive semble indiquée. Même si la Bible ne parle que d’impôts linéaires (la dîme), elle donne aussi des indications pour des impôts progressifs. Ainsi, Jésus valorise davantage les deux petites pièces de la veuve que les grands dons des riches qui, eux « ont pris de leur superflu » (Marc 12.42–43).
Réduire le fossé entre riches et pauvres
Ceci est possible grâce à un impôt successoral élevé et à la redistribution des revenus. Lorsque l’égalité des chances est renforcée et un impôt successoral perçu, les autres mécanismes redistributifs ne seront plus que secondaires. Cependant, il faut garder à l’esprit que les différences de revenus étaient bien moindres aux temps bibliques qu’aujourd’hui.
Une nouvelle éthique du travail
On entend souvent dire que des impôts trop élevés saperaient la rentabilité de l’emploi, de l’investissement et de l’innovation. Mais si le travail ne sert plus qu’à gagner beaucoup, on peut se poser une autre question : quelle est notre motivation, notre éthique du travail ? Ne pourrait-on envisager que les personnes fortunées retirent une satisfaction importante de la cession d’une grande partie de leur salaire à la collectivité plutôt que de l’utiliser uniquement à leur propres fins ? Ceci d’autant plus que le lien entre revenu et performance est devenu hautement aléatoire. Certains capitaines de l’économie engrangent des salaires jusqu’à 500 fois supérieur à celui d’une caissière d’un supermarché. C’est démesuré. Nous avons donc besoin d’une nouvelle vision. La question prioritaire ne devrait plus être combien nous devons céder, mais combien nous pouvons garder et combien il nous faut effectivement pour vivre.
Conclusion : une confiance critique
Du point de vue de la justice et de la solidarité bibliques, payer ses impôts avec générosité se justifie de nombreuses manières. Beaucoup de raisons nous incitent également à faire confiance à l’État en tant qu’outil de redistribution des richesses, sans pour autant se voiler la face sur la façon dont sont gérées les finances et les dépenses publiques. A tout moment, l’État est en effet appelé à honorer la confiance que les contribuables placent en lui, en agissant de façon responsable, une approche qui est ancrée dans la Bible : « Un roi affermit le pays par la justice mais celui qui reçoit seulement des présents le ruine » (Prov. 29.4).
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