C. Le développement durable : un engagement individuel et collectif

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1. Définition et enjeux

La définition du développement durable, désormais universelle, nous est donnée par le rapport de la Commission mondiale sur l’environnement et le développement dirigée par Madame Brundtland. Ce rapport stipule « un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs » [^1]La notion de « besoins » qui concerne les plus démunis des habitants de la planète et celle de « limitation des ressources » sont au coeur du concept de développement durable [^2]. Cette limitation des ressources, restreignant la capacité de l’environnement à répondre aux besoins actuels et à venir est provoquée par l’état des techniques et de l’organisation sociale et économique.

Le développement durable essaie de concilier efficacité économique, équité sociale et responsabilité environnementale. Ainsi, il a pour ambition de concilier des intérêts qui jusqu’ici semblaient concurrents. En effet, tout en tenant compte de l’ensemble des besoins, matériels et immatériels, actuels et futurs, il prend en considération la nature et les autres êtres vivants, sans lesquels la vie de l’homme est tout simplement impossible. Sa vision et son action sont à la fois globales, spatiales et temporelles. Bien qu’il s’inscrive dans le présent et s’occupe des humains contemporains et de leurs besoins (sociaux, économiques et environnementaux), le développement durable se comprend dans une démarche à long terme, afin d’assurer les intérêts des générations à venir et prévenir les effets négatifs sur l’environnement que pourraient occasionner certaines actions mises en oeuvre par l’activité humaine. Cependant, sa dimension globale ne l’empêche pas de s’intéresser de manière particulière aux différentes actions réalisées au niveau local. D’ailleurs, les modes de production et de consommation dans les pays du Nord et du Sud sont l’objet de cette nouvelle vision du développement dont les actions individuelles sont centrales pour la réussite de toute démarche liée au développement durable.

2. Petit historique

Pourquoi parle-t-on de développement durable et comment cette notion a-t-elle vu le jour ?

·        Dans les années 1960, on part de l’idée que chaque être humain a droit à sa juste part de ressources. C’est donc plutôt l?idée d?un développement à tout prix.

·        Dans les années 1970, on commence à réaliser – et ceci sera particulièrement mis en évidence pendant la conférence de Stockholm (première conférence mondiale sur l’environnement) – que l’écosystème terrestre est limité et qu’il faut le préserver ; la notion de protection de l?environnement devient alors incontournable.

·        Dans les années 1980, on réalise qu’afin d’assurer un développement durable, il faut prendre en compte non seulement la préservation de l?environnement mais également l’aspect social et économique. Le développement durable voit ainsi le jour. C’est donc la Commission Brundtland qui en 1987 formulera la première définition du développement durable, reprise à Rio par la suite [^3]

En 1987, la commission pour l’environnement et le développement, appelée commission Brundtland, part du constat que les ressources s’épuisent à une vitesse telle que la vie humaine est mise en péril. En 1992, les Nations Unies convoquent un sommet mondial qui réunit plus de 180 pays à Rio de Janeiro. Lors de ce sommet, baptisé « Sommet de la Terre », un agenda est élaboré : c’est l’« Agenda 21 » de Rio, adopté par plus de 180 Etats présents. L’Agenda de Rio propose des mesures qui doivent être prises à l’échelle de la planète au 20ème siècle, afin de parvenir à une convergence et un équilibre durable entre « l’efficacité économique, la solidarité sociale et la responsabilité écologique ». Ce même sommet définira les principes qui guideront les actions pour un développement durable que les Etats, comme les collectivités publiques, seront encouragés à élaborer et à mettre en oeuvre. En 2002, un deuxième sommet est organisé en Afrique du Sud pour prendre la mesure du chemin parcouru depuis Rio et ébaucher les perspectives du développement durable.

3. Les trois dimensions du développement durable

Pour satisfaire pleinement les besoins humains, le développement durable considère qu’il faut cesser de voir les aspects socioculturels, économiques et environnementaux comme dissociables. Au vu de leurs interactions importantes, mettre ces aspects sur un pied d’égalité est le seul moyen de leur permettre de participer intégralement au bien-être de tous. Le développement durable constitue ainsi une base solide pour la résolution des problèmes que rencontrent les différentes sociétés dans leurs tentatives de sortir du mal-développement. A cet effet, on peut définir trois notions clés, comprenant les enjeux fondamentaux de la vie quotidienne de chaque être humain et représentant les  dimensions du développement durable. Il s’agit de :

·        L’environnement avec comme contenu la sauvegarde des bases existentielles naturelles ;

·        L’économie avec comme contenu la sauvegarde des bases existentielles matérielles ;

·        La société avec comme contenu la sauvegarde des bases existentielles immatérielles.

[^4] Source : http://cld-ardeche-verte.blogspot.com

a. L’économie

La plupart d’entre nous pourraient facilement ignorer la notion d’économie qui, dans notre société globalisée, renvoie aux multinationales et entreprises cotées en bourse. Pourtant, vu sous l’angle du développement durable, l’économie nous concerne tous, petits et grands, riches et moins riches à des degrés divers. Les entités économiques de production sont, bien sûr, en première loge. Elles doivent donc tout mettre en oeuvre pour garantir une production moins gourmande en énergie et en capital naturel, et faire preuve d’innovation, le but n’étant pas uniquement d’augmenter le capital et les profits des actionnaires. Le développement de nouvelles technologies doit notamment permettre d’assurer une production moins polluante et moins génératrice de déchets.

En aval de la production, on attend de chacun d’entre nous d’être « bon » consommateur et, par conséquent, producteur de déchets et de pollution. En effet, pour que la machine économique continue à tourner, il faut consommer. Ainsi, la consommation se trouve au coeur des processus socio-économiques et certains en font même un indicateur de bien-être des populations, avec ce message : si votre niveau de consommation augmente, c’est que tout va bien ! Pourtant, il arrive souvent que la croissance de la consommation atteigne le niveau que M. Bosquet appelle « la consommation opulente ». Celle-ci, nous dit-il, « assure la croissance du capital mais pas la croissance des satisfactions » [^5]. Dans cette course effrénée à la consommation, une parole de sagesse nous interpelle : « Si tu trouves du miel, n’en mange que ce qui te suffit car si tu en prends trop, tu le rejetteras. » (Proverbes 25.16)

Dans une société tournée vers la consommation, il convient de souligner notre pouvoir en tant que consommateur, et comme pour tout pouvoir, notre responsabilité de l’exercer de manière intelligente. A ce propos, les éléments suivants doivent attirer notre attention :

·        nous consommons le produit prélevé dans l’environnement (capital naturel),

·        ce capital naturel se régénère à l’échelle géologique (rythme très long à l’échelle humaine),

·        ce capital naturel doit pouvoir profiter aux générations futures.

b. La société

« Que le droit jaillisse comme une source d’eau, que la justice coule comme un torrent puissant. » (Amos 5.25)

La croissance des richesses et l’efficacité économique doivent profiter à tous. C’est pourquoi, la satisfaction des besoins de base des plus pauvres est un défi important du développement durable, qu’il doit permettre et favoriser la solidarité entre les générations ainsi qu’entre les pays riches et les pays pauvres. Mais plutôt que de pauvreté, il faut parler de misère, dans certains pays où le minimum vital n’est pas assuré. Le développement durable doit aussi servir à mieux appréhender et à résoudre les problèmes liés à la santé, à l’éducation et l’emploi, afin de faire disparaître les inégalités existant à l’intérieur des pays et entre eux; il s’agit de lutter contre l’exclusion tout en respectant les différences culturelles. Pour ce faire, il est nécessaire d’encourager la participation de tous les groupes sociaux concernés.

c. L’environnement

Votre pays sera dévasté et vos villes deviendront des monceaux de ruines. Alors la terre jouira des années de repos durant tout le temps qu’elle sera désolée et que vous serez dans le pays de vos ennemis ; enfin elle chômera et jouira de son repos. Durant toute cette période où elle restera dévastée, elle se reposera pour les années de repos dont vous l’aurez frustrée le temps que vous l’aurez habité. (Lévitique 26.33-35)

L’Eternel ne semble pas satisfait de la manière dont Israël gère la terre qu’il lui a donnée. Curieusement, le temps de repos prescrit à l’homme concerne aussi la nature. Ce passage, comme celui de l’arche de Noé pour n?en citer qu?un tiré de l’Ancien Testament, montre que le Créateur se soucie de la nature. Cependant, le Seigneur ne fait pas croître la nature au point de vouloir voir la brousse et les animaux sauvages coloniser l’espace habité par l’homme. Dieu sait que l’homme a besoin de la nature pour mener une vie harmonieuse. La responsabilité environnementale est une chose que le Créateur lui demande certainement d?exercer. En tant que chrétiens, notre responsabilité est engagée à deux niveaux :

·        nous savons que la nature est l’oeuvre de Dieu et que toute la création attend le salut de Dieu. A ce titre, notre usage de la nature devrait être guidé par le respect de son auteur.

·        en tant que « collaborateurs de Dieu », notre comportement vis-à-vis de la création devrait être exemplaire. En effet, le chrétien est l?imitateur de Dieu en toutes choses.

4. Les indicateurs

Depuis que le développement durable est entré dans les politiques publiques ou d’entreprises, plusieurs types d’indicateurs ont été élaborés. Pour cette présentation, nous avons retenu deux indicateurs d’application générale, nécessaires à une évaluation globale des problèmes environnementaux et de développement socio-économique.

a. L’empreinte écologique

Orientée vers l’environnement, l’empreinte écologique est un indicateur synthétique capable de mesurer les impacts écologiques de la société en termes d’utilisation des ressources et de pollution. L’unité retenue : la surface de la Terre biologiquement productive exprimée en hectares globaux (un hectare global étant un hectare de sol ayant une productivité moyenne au niveau mondial. Les auteurs M. Wackernagel et W. Rees ont développé la méthode suivante :

Il faut penser une économie comme ayant un métabolisme industriel. A cet égard, elle est semblable à une vache dans un pré. L’économie a besoin de manger des ressources et finalement, toute cette consommation deviendra déchet et devra quitter l’organisme – l’économie. La question devient donc, combien de sols faut-il pour maintenir durablement l’actuel niveau de vie d’une économie spécifique. [^6]

La surface ainsi évaluée est ensuite ramenée à l’habitant (ha/habitant) [^7].



Cet indicateur a l’avantage d’être à la fois synthétique et pédagogique. En effet, il attribue l’impact écologique au consommateur et permet à celui-ci de mener une réflexion sur son mode de vie.

b. L’Indice de développement humain (IDH)

Les experts du Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD) ont constaté les limites de la mesure du Produit Intérieur Brut (PIB), utilisé comme indicateur de développement dans les années 1990. Ils ont alors proposé un nouveau concept de type qualitatif appelé « Indice de développement humain » (IDH). Il s’agit d’un indice composite mesurant l’évolution d’un pays selon trois critères de base du développement humain :

–         La santé et longévité (mesurée d’après l’espérance de vie à la naissance) ;

–         Le savoir (mesuré par le taux d’alphabétisation des adultes et le taux brut de scolarisation combiné du primaire, du secondaire et du supérieur) ;

–         Un niveau de vie décent (mesuré par le PIB par habitant en parité au pouvoir d’achat en dollars US) [^8].

5. Quelques principes pour guider l’action

Après le sommet de Rio, des principes, des engagements et des codes de conduites ont été élaborés ici et là par les collectivités publiques et les entreprises. Mais le texte de référence, du fait de sa portée politique, reste celui des principes rédigés à l’occasion de la conférence de Rio en 1992. Celle-ci a défini vingt-sept principes sur lesquels la mise en oeuvre du développement durable doit s’appuyer. Ci-après quelques-uns des principes-clés du développement durable :

–         Le principe de solidarité : le développement durable repose sur le principe de solidarité entre les générations (dans le temps) et entre les peuples (dans l’espace) pour préserver le patrimoine humain et réduire le fossé entre les riches et les pauvres, entre le Nord et le Sud. (principes n° 3 et 5)

–         Le principe de participation qui suppose que l’ensemble des acteurs de la société (entreprises, ONG, collectivités publiques, citoyens, etc.) s’implique dans le processus de décision. La réussite des projets de développement durable repose en grande partie sur ce principe. (principes n° 10 et 20)

–         Le principe de précaution qui pousse à la prudence là où le doute existe quant aux dommages irréversibles que l’environnement peut subir suite à l’activité de l’homme. (principe n° 15)

D’autres principes, dont le principe de responsabilité et le principe d’équité, sont détaillés dans l’Agenda 21 de Rio. [^9]

6. Les acteurs

Plusieurs groupes d’acteurs ont également été définis par la Conférence des Nations Unies. Nous avons retenu les cinq principaux ainsi que leurs différents rôles (mais la liste n’est pas exhaustive) :

a. Les gouvernements

–         Etablir un cadre légal qui favorise la mise en place des Agendas nationaux et locaux ;

–         Mettre en place des politiques de développement en accord avec les principes du développement durable ;

–         Mettre sur pied une bonne coordination entre les acteurs au niveau des différents ministères ou départements ;

–         Adopter des pratiques exemplaires dans l’administration.

b. La société civile

–         S’impliquer activement dans les questions sociales, économiques et environnementales ;

–         Aider les pouvoirs publics et les interpeller sur les décisions incompatibles avec le développement durable ;

–         Influencer l’opinion et stimuler les débats sur les questions relatives au développement durable.

c. Les entreprises

–         Encourager la production propre et moins gourmande en énergie ;

–         Etre socialement responsable ;

–         Encourager les employés à des comportements durables (p.ex : transport ).

d. Les municipalités

–         Agir en exemple pour la population ;

–         Informer et sensibiliser les collaborateurs et la population sur les questions de développement durable ;

–         Mettre à la disposition des consommateurs des informations utiles pour les aider à faire des choix responsables ;

–         Mettre en place des agendas 21 locaux ;

–         Promouvoir le développement durable en imposant des critères écologiques dans l’attribution des marchés ou dans l’octroi des subsides aux projets.

e. L’individu

–         Honorer le Créateur ;

–         Adopter une attitude responsable (prendre conscience de nos choix de consommation, éviter la pollution et le gaspillage des ressources naturelles) ;

–         Répandre le bonheur et la foi autour de soi ;

–         Pratiquer la justice, l’équité et la solidarité, entre autres valeurs.

7. Le développement durable : une nouvelle valeur ?

Avec la médiatisation du concept de développement durable, d’aucuns pensent qu’une religion est née. Dans une société en quête constante de nouveautés et de nouvelles références, tout est possible. Cependant, aussi innovant et intéressant qu’est le concept de développement durable, il ne pourrait prétendre remplacer, voire compléter ce qui manquait jusqu’ici à l’église. La communauté chrétienne possède depuis sa fondation des valeurs et des principes immuables qui donnent une large place aux aspects liés à la solidarité et à la protection de la nature, ?uvre du Créateur. « Par ailleurs, certaines recommandations bibliques sont prescrites en vue de satisfaire les besoins d’existence commune. » [^10] Nous entendons par éthique « la prise en compte dans l’agir, des valeurs sociales, morales et spirituelles fondamentales propres à une société »[^11] ; dans cette perspective, l’évangile nous donne des éléments essentiels pour que le séjour de l’homme sur la Terre se fasse dans l’harmonie avec lui-même, son prochain, son environnement et par-dessus tout, son Créateur.

Jean Hategekimana, spécialiste environnement et développement



1. Commission mondiale sur l’environnement et le développement : Rapport Brundtland, Notre avenir à tous. Editions du Fleuve, Montréal, 1987

2. D’après Brodhag, C., Délégué interministériel au Développement Durable

3. ibid.

4. Häberli et al. : Objectif qualité de vie. Développement durable, une exigence écologique, une stratégie économique, un processus social. p. 31

5. Bosquet, M. Ecologie et liberté. p.44

6. Wackernagel, M. et Rees, W. : Our Ecological Footprint, Reducing Human Impact on the Earth, New Society, Gabriela Island, 1996

7. Brodhag, C. et al, Développement durable : leçons et perspectives, In Actes du colloque scientifique de Ouagadougou. pp 113-120

8. Programme des Nations Unies pour le Développement, http://hdr.undp.org/reports/global/2004/francais

10. Jakubec J., Le développement durable, approche scientifique, sociale et éthique, p. 32

11. Ibid., p. 31

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