L’économie et la baisse d’impôts
L?économie et la baisse d?impôts ? par Dr. Andrew Lee
Personne n?aime payer des impôts. Par conséquent, toute baisse d?impôts est généralement a priori bienvenue. Je souhaite à présent me pencher principalement sur la question de l?allégement fiscal du point de vue économique. Quelles sont les théories appliquées par (certains) économistes pour justifier une baisse d?impôts? Quelles ont été les conséquences économiques des baisses d?impôts par le passé? Quelles conclusions peut-on en tirer? Je me référerai à l?article ?The Tax-Cut Con? de Paul Krugman, l?un des économistes les plus réputé au monde. (www.pkarchive.org/economy/taxcutcon.html).
Les baisses fiscales aux Etats-Unis
Nous pouvons tirer des leçons de l?exemple américain, qui connaît depuis près de 25 ans une véritable ?croisade anti- impôts?. Krugman qualifie de ?fanatiques? les opposants – de plus en plus influents – aux charges fiscales. Il donne un exemple: mener une guerre est coûteux et entraîne presque inexorablement des hausses fiscales. Lors de la guerre contre l?Irak en 2003, c?est pourtant le contraire qui s?est produit: le paquet de mesures de baisse fiscale du président Bush est passé pratiquement au même moment. Mais les Républicains ont de plus fait du postulat ?des impôts plus bas? une priorité, cela alors que le déficit budgétaire avait grimpé en flèche en l?espace de quelques années et que les américains paient déjà relativement peu d?impôts en comparaison internationale. Comment en est-on arrivé là? En gros, on distingue deux principaux lobbys qui se sont imposés dans la politique américaine au cours des 25 dernières années:
(1) Les Supply Siders
Ce groupe part du principe que l?on peut baisser les impôts sans devoir recourir à des mesures draconnienne de réduction des dépenses publiques. Cette explication qui a l’air de conte de fées s?explique assez facilement en théorie. Cette réflexion s?appuie sur le principe, pratiquement accepté à l?unanimité par les économistes, que des charges fiscales élevées ont tendance à freiner l?épargne et la motivation professionnelle. La perspective de gagner un franc de plus est moins stimulante lorsque le 80% est prélevé par l?Etat que lorsqu?il s’agit du 20%. Partant, les baisses d?impôts peuvent relancer l?économie. Jusque là, pas de problème. Faut-il pour autant en conclure que les allégements fiscaux n?ont pour ainsi dire aucune incidence sur les dépenses publiques? C?est ce que soutient cette théorie. Ses partisans s?appuient sur le modèle d?Arthur Laffer, selon lequel une baisse d?impôts peut stimuler l?économie à tel point que l?assiette fiscale augmente plus vite que ne baisse le taux d?imposition, ce qui entraîne paradoxalement une hausse des recettes fiscales! Graphiquement, cela s?explique de la façon suivante.
Lorsque le taux d?imposition appliqué se trouve à droite de x%, les taux d?imposition inférieurs entraînent des recettes fiscales plus élevées (et par conséquent de plus grandes dépenses publiques, pour autant que le budget soit équilibré). Mais lorsque le taux d?imposition se situe à gauche de x%, les impôts plus bas entraînent cette fois de recettes fiscales moindres, puisque l?assiette fiscale ne croît pas suffisamment pour compenser le faible taux d?imposition. En d?autres termes, les taux d?imposition élevés doivent être abaissés lorsqu?ils se situent au delà (à droite) de x%. Il est clair qu?au sein d?un système d?impôt progressif c?est avant tout aux riches, pour qui les taux d?imposition sont les plus élevés, que cette théorie profite?
(2) « Laisser mourir la bête! »
Le deuxième lobby a avoir revandiqué avec succès des baisses d?impôts favorise cependant les faibles recettes fiscales. C?est celui qui aimerait réduire autant que possible l?importance et le pouvoir de l?Etat. Il se distingue très clairement du premier groupe. Alors que les Supply Siders partent d?une situation de win-win (impôts bas=dépenses élevées), ce deuxième groupe rejette la théorie d?Arthur Laffer: des impôts bas impliquent des recettes fiscales basses et, par conséquent, des dépenses publiques peu élevées. Or c?est justement le but visé, car il s?agit de laisser cette ?Bête? qu?est l?Etat mourir de faim et disparaître. « Less is better than more », tel est leur devise en ce qui concerne l?Etat.
Indépendamment de toute orientation politique, on peut toujours arguer que la fin justifie les moyens, autrement dit que tôt ou tard une baisse d?impôts profite à tous, puisqu?elle entraîne une croissance économique favorable pour l?ensemble de la population. L?expérience des 25 dernières années aux Etats-Unis montre ce qui en est.
L?expérience des 25 dernières années.
1981: le Président Reagan baisse les impôts
Reagan adhérait aux idées d?Arthur Laffer, qui était de surcroît membre de l?Economic Policy Advisory Board au temps des deux mandats de Reagan. (A noter que Margaret Thatcher, convaincue par la théorie de Laffer, a elle aussi réduit les impôts au Royaume-Uni.) Entre 1979 et 1983, le 1% des plus riches ménages américains a par exemple vu son taux d?imposition fédéral moyen chuter de 37% à 27,7%. Et ensuite, quid de la croissance économique? Alors que la période de 1979 à 1982 connut une récession, entre 1982 et 1989 la croissance économique annuelle moyenne atteignait 4,2%. Ce phénomène, qui semble au premier abord positif, aurait été selon les plus sceptiques le simple fruit du cycle conjoncturel classique: il est en effet fréquent qu?une forte croissance survienne suite à une période de récession. Partant, la croissance n?aurait pas été plus forte grâce à l?allégement fiscal que dans le cadre d?un cycle conjoncturel (bien qu?elle soit sortie plus rapidement de la récession).
Qu?en est-il alors selon la théorie d?Arthur Laffer? Les recettes fiscales ont-elles également augmenté? En réalité, les recettes fiscales ont baissé, ce qui ne signifie pas forcément que cette théorie soit inexacte. Les impôts américains étant relativement bas par rapport à la moyenne internationale, l?ensemble de la charge fiscale de l?économie nationale américaine se situait très probablement à gauche (et non à droite) de x% sur la courbe de Laffer, ce qui explique qu?une baisse d?impôts entraîne des recettes fiscales plus faibles. Comme nous l?avons mentionné ci-dessus, il existe toutefois aussi une catégorie de personnes qui se frotte les mains lorsque les recettes fiscales diminuent, puisque ceci implique également une diminution des dépenses publiques. Or il se trouve que malgré un taux d?imposition inférieur, le pourcentage du Produit Intérieur Brut investi en dépenses publiques à la fin des années 80 était légèrement supérieur à celui de la fin des années 70: on est encore loin d?un hypothétique anéantissement de l?Etat.
dès1989: hausses d?impôts des présidents Bush Sr et Clinton
Les faibles recettes fiscales couplées à la légère augmentation des dépenses publiques eurent pour conséquence des déficits budgétaires catastrophiques vers la fin des années 80, que George Bush Sr lui-même ne pouvait prétendre ignorer, malgré ses affirmations « Read My Lips ». Il fallait à nouveau augmenter les impôts. Ainsi entre 1989 et 1995, le taux d?imposition fédéral moyen pour le 1% des ménages les plus aisés a grimpé de 28,9% à 36,1%. La croissance économique augmenta, le chomâge recula jusqu?à son point le plus bas depuis des décennies sans provoquer d?inflation, l?essor de la productivité s?accéléra et le déficit budgétaire se transforma en exédent budgétaire. Bien que rares soient les économistes à attribuer essentiellement à la politique économique de Clinton ce bilan spectaculaire (plutôt qu?au boom de l?internet), on peut toutefois en conclure que la hausse des impôts n?a pas produit ce que bien des militants anti-impôts redoutaient, à savoir une débâcle économique.
dès 2001: le président Bush Jr. baisse les impôts
Les impôts américains furent donc à nouveau baissés en 2001. S?il est encore trop tôt pour se prononcer sur les effets de la croissance à moyen terme aux USA, ses effets à court terme se révèlent d?ores et déjà fort positifs (fait guère surprenant compte tenu de ce mélange de politiques fiscales et monétaires expansives). Cela dit, une chose est sûre: de telles baisses d?impôts profitent aux riches. S?il est vrai que ces baisses n?ont pas été ?vendues?, certaines estimations révèlent que 42% des bénéfices, réalisés sous forme d?épargne sur l?impôt grâce aux allégements fiscaux de 2001(avec pour priorités la baisse des taux d?imposition les plus élevés et l?abolition de l?impôt sur la propriété foncière) profitaient au 1% le plus riche de la population américaine. Les baisses d?impôts de 2003 (objectif: une baisse du taux d?imposition sur le revenu du dividende) sont à première vue légèrement plus modestes: le 1% le plus aisé de la population américaine n?épargne « plus que » 29,1% sur l?impôt. Comme si cela ne suffisait pas, une étude plus approfondie révèle que le 0,13% plus riche de la population reçoit 17,3% des avantages, soit plus que ne bénéficie le 70 % des plus pauvres ménages américains!
Avec de tels chiffres, il y a de quoi se demander comment ces baisses d?impôts ont été acceptées. Bien sûr, tout dépend de la façon de présenter et d?argumenter: pour faire accepter le train de mesures fiscales 2003, un seul slogan: «92 millions d?américains bénéficieront d?une baisse d?impôts moyenne de $1083». Une perspective alléchante. Et pourtant, à y regarder de plus près… Si pour 92 millions d?américains la baisse d?impôts moyenne tourne bel et bien autour de $1100, c?est sans compter les 50 millions de contribuables qui ne bénéficient d?aucun allégement fiscal. De plus, on se doute bien que la majorité de ces 92 millions bénéficiera de bien moins que $1083, cette moyenne étant faussée par les énormes baisses accordées à seulement une poignée de contribuables richissimes. Comme quoi, les choses ne sont pas toujours aussi simple qu?on pourrait le croire…
Conclusions
Nous venons de voir que les allégements fiscaux de ces 25 dernières années aux Etats-Unis n?ont pas produit de miracle économique (du moins à moyen terme) et que le bénéfice engendré n?était pas réparti équitablement. De plus, les baisses fiscales aux Etats-Unis n?étaient pas accompagnées d?une hausse des recettes fiscales, autrement dit pas de « free lunch » (ce qui est regrettable, car en effet qui s?opposerait à des impôts plus bas et des dépenses publiques plus élevées?)
Il convient de signaler qu?une baisse d?impôts, en tant qu?instrument de politique économique, n?a rien de mauvais en soi. Dans certains pays et dans certaines circonstances, les baisses d?impôts peuvent être bienvenues et avoir des retombées très positives. Il est d?ailleurs évident que des impôts plus bas peuvent permettre à un pays de sortir plus rapidement d?une récession. La question est plutôt de savoir si l?épargne sur l?impôt profite avant tout aux riches ou si le taux d?imposition est de toute façon bas. Dans les faits, dans des pays où les impôts sont relativement peu élevés, tels que la Suisse, les allégements fiscaux mènent certes à une croissance économique à court terme, mais à long terme soit à une réduction des dépenses publiques soit à une nouvelle hausse fiscale, afin de rétablir le budget. Selon la répartition des pouvoirs politiques au sein d?un Etat, deux options se présentent: une coupe des dépenses publiques ou une hausse des impôts. On peut donc déceler derrière chaque initiative d?allégement fiscal en Suisse toutes sortes de motivations. Il suffit de voir ceux qui sont profondément persuadés qu?une baisse des impôts permettra d?augmenter nos recettes fiscales (ce qui semble peu probable compte tenu du fait que nous payons déjà relativement peu d?impôts par rapport aux autres pays, autrement dit que nous nous situons sans aucun doute à gauche du x% sur la courbe de Laffer) ou alors ceux qui sont déterminés à laisser s?épuiser, du moins en partie, la Mère Patrie.
Photo by Ibrahim Rifath on Unsplash
Laisser un commentaire
Rejoindre la discussion?N’hésitez pas à contribuer !