I.D. Suisse ? l’identité suisse

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Exposé tenu lors du ForumChristNet « I.D. Suisse » le 15 juin 2002 à Berne.

Le concept de « nation »

1. Introduction

Qu?est-ce qui fait de moi un Suisse ? Mes origines, ma mentalité, ma langue, mon histoire, mon orientation politique ? J?aurais en effet beaucoup à dire, même si j?ai des origines allemandes. C?est dans cette Suisse aux multiples facettes que j?ai choisi de vivre et de m?engager. Je veux être intégré dans ce pays, m?en sentir responsable.

2. Le concept de « nation »

On appelle nation une association de personnes réunies par un même mode de pensée et un même comportement, donc potentiellement capables d?autodétermination politique et en manifestant la volonté. Ce concept a pris une dimension politique d?abord en Occident au 19è siècle, pour ensuite gagner le reste du monde à partir du 20è siècle.

Au travers de son histoire et de sa constitution politique uniforme, la Suisse s?est forgé un solide sentiment d?identité nationale : elle comprend quatre « nations linguistiques », est très attentive aux différences existant aussi bien au niveau régional que communal, et elle a fort bien su consolider le processus de prise de décision démocratique. La Suisse est une « nation volontariste ».

Le concept de nation revient environ 700 fois dans la Bible, où il désigne les « peuples ». Il s?agit de grandes communautés constituées de familles, de tribus ou de clans qui avaient un passé commun. Ainsi on parlait encore de « nation » au Moyen-Âge, et même sous l?empire austro-hongrois, qui était alors un Etat composé de plusieurs nations. A noter que dans la Bible, le terme employé pour nation (ou peuple) est goi (goijim au pluriel) alors que le terme ?am est réservé à Israël, le peuple élu.

3. Le nationalisme:

Les idéologies nationalistes visent à défendre, renforcer et démarquer l?identité nationale, ressentie comme unique. Ce repli sur soi, visant à consolider la cohésion interne, exclut même les minorités vivant à l?intérieur du pays. Les idéologies nationalistes peuvent revêtir différentes formes en fonction du contexte historique, politique et socio-économique. La branche des sciences politiques fait notamment la distinction entre nationalisme culturel, politique, économique et religieux.

J?ai pu constater que certains chrétiens à tendance nationaliste s?identifient souvent à Israël. Je ne partage pas ce point de vue, pour les raisons suivantes :

·       Aux yeux de Dieu, Israël est le peuple élu de Dieu, le peuple No 1. Les « nations » viennent donc en 2è position, et cela est donc également valable pour la Suisse.

·       Etant membres « des nations », nous ne pouvons pas appartenir au peuple d?Israël (sauf si nous pouvons justifier des origines juives). Par contre nous sommes un en Christ avec les croyants d?Israël.

·       Israël n?est pas notre patrie, que nous devrions récupérer d?une façon ou d?une autre. La terre d?Israël fait partie de la promesse que Dieu a faite à Abraham, le père de la nation (1 Genèse 15 :18 « En ce jour-là, Dieu conclut une alliance avec Abraham en disant : Je donne ce pays à ta descendance ; depuis le fleuve d?Egypte jusqu?au grand fleuve, l?Euphrate. »)

·       D?ailleurs même Israël n?a aucun droit sur son pays. C?est un cadeau de Dieu, et il pourrait très bien le lui reprendre s?il y voyait le moyen d?atteindre son but : ramener son peuple à lui.

·       En tant que Suisses, nous ne pouvons pas vivre dans l?illusion d?être le pays No 1 ou d?en faire partie.

·       Dans Zacharie 8:23, nous lisons: « En ces jours-là, dix hommes de toutes les langues des nations saisiront un Juif, ils le saisiront par le pan de son vêtement et diront : Nous irons avec nous, car nous avons appris que Dieu est avec vous ». Dans cette prophétie, je retrouve cette tendance qu?ont certains chrétiens à s?identifier à Israël.

L?héritage de la Réforme

·       Les réformateurs ont incontestablement marqué la politique, et ce à l?échelle mondiale.

·       Martin Luther a clairement défendu sa position devant la Diète de Worms en présence de l?Empereur. Un homme politique l?a ensuite mis en sécurité.

·       Ulrich Zwingli a été pendant plusieurs années conseiller auprès du gouvernement zürichois. Il mourut lors de la 2è Guerre de Kappel.

·       Jean Calvin a fortement marqué Genève, jusque dans l?organisation de la vie publique et par ses valeurs éthiques. Ses activités ont d?ailleurs eu des répercussions considérables aussi bien en Angleterre qu?en Amérique ou en Europe de l?Est.

·       A Berne, la Réforme a été l?occasion tant attendue qui a permis au gouvernement de se soustraire de l?influence de Rome et de s?approprier certains territoires, notamment l?Oberland bernois.

·       Après la Réforme, l?Allemagne a longtemps conservé le principe politique voulant que le pouvoir en place détermine la confession.

Les Eglises libres

·       Pendant la Réforme, les baptistes furent mis sous pression parce qu?ils refusaient de se soumettre à la politique et à la confession prédominante. Nombre d?entre eux furent expropriés, mis à mort ou chassés.

·       Autour de 1831, Berne instaura peu à peu un gouvernement progressif. Les cercles aristocratiques durent se retirer de la politique et s?engagèrent alors dans le mouvement piétiste, qui devint une « Evangelische Gesellschaft » (une société évangéliste).

·       Vers 1880 commencèrent les grandes campagnes d?évangélisation, qui permirent à de nombreuses personnes de trouver un sens à leur vie en la remettant à Dieu.

Les amis d?Israël

·       Ils s?identifient nettement à l?actuelle Israël du Proche-Orient sur le plan national.

·       Le fait qu?ils proviennent de différent mouvements d?opposition aux Eglises dominantes expliquent leur tendance au repli sur soi (à l?image des Pharisiens vivant au temps de Jésus). Cela les rapproche de la tradition judaïque, qui s?est montrée nettement isolationniste au cours de l?Histoire.

La Suisse

·       Fondation en 1291 sur la prairie du Grutli.
Le Pacte commence ainsi : « Au nom du Seigneur. C’est accomplir une action honorable et profitable au bien public que de confirmer, selon les formes consacrées, les mesures prises en vue de la sécurité et de la paix ? Les décisions ci-dessus consignées [?] devront, si Dieu le permet, durer à perpétuité.»
Il est frappant de voir qu?à cette époque, dans les campagnes entourant le Lac des Quatre Cantons (qui étaient alors en plein bouleversement), on arriva à un accord politique de façon autonome et en rupture complète avec les autorités. Ce dernier devait « durer à perpétuité». A en croire les spécialistes cela était exceptionnel pour l?époque. Au fil du temps, ce « pacte d?urgence » sommaire devint une confédération, c?est-à-dire que les différents territoires se regroupèrent peu à peu en Etats ayant une visée politique commune.

·       Au 19è siècle, suite à la réorganisation de la vie publique par Napoléon Ier une confédération moderne vit le jour. C?est aux 18è et 19è siècles, sous l?influence des Lumières, qu?on développa et instaura les principes démocratiques et libéraux, mettant ainsi à pied d?égalité les différentes confessions du christianisme. Dans les milieux politiques et religieux, la notion de tolérance fit son chemin. Cela explique pourquoi il n?y eut plus de guerre de religion après 1848. Même les Eglises libres, dont les membres étaient encore fortement réprimés vers 1700, obtinrent le droit de s?organiser librement.

Notre identité en Christ

·       Notre identité chrétienne se trouve en Jésus-Christ seul (cf. Gal. 2:20 : « Ce n?est plus moi qui vis, c?est Christ qui vit en moi ; ma vie présente dans la chair, je la vis dans la foi au Fils de Dieu, qui m?a aimé et qui s?est livré lui-même pour moi » [Version Segond révisée])

·       Face à cette identité première, mon identité suisse (celle de mon passeport) est secondaire, c?est un adiaphore. Que je sois Turc, Juif, Palestinien ou Suisse, cela vient après le fait que nous sommes tous un en Jésus-Christ (cf. Gal. 3:28 : « Il n?y a plus Juif ni Grec, il n?y a plus esclave ni libre, il n?y a plus ni homme ni femme, car vous tous, vous êtes un en Christ-Jésus »). C?est cela notre véritable identité. C?est pourquoi il est inutile d?accorder trop d?importance à la nationalité. Seule notre foi en Jésus-Christ nous permet de savoir ce que nous pouvons apporter au monde et aux nations en tant que Suisses.
Dans certaines circonstances, l?adiaphore prend une signification majeure, c?est-à-dire qu?il devient le moyen d?exprimer notre confession de foi. Il se pourrait donc qu?un jour notre appartenance à Jésus-Christ se manifeste au travers de notre nationalité suisse. C?est par exemple le cas dans un pays purement islamique dans lequel il est interdit de montrer la croix suisse.

·       Phil. 3:20-21 : « Pour nous, notre cité est dans les cieux ; de là nous attendons comme Sauveur le Seigneur Jésus-Christ, qui transformera notre corps humilié, en le rendant semblable à son corps glorieux par le pouvoir efficace qu?il a de s?assujettir toutes choses ».
Ce passage parle de « l?au-delà » de notre citoyenneté. « Les cieux » sont le but de l?Histoire, la terre promise, le lieu où le Père règne éternellement. Nous y avons notre place. Notre identité nationale est également comprise dans l?expression « corps humilié ».
Le pasteur allemand Dietrich Bonhoeffer (résistant sous le régime nazi) parlait des « dernières » et « avant-dernières choses », autrement dit ce qui est décisif par rapport à ce qui est secondaire. Les « dernières choses » représentent l?appartenance à Dieu qui garantit notre citoyenneté céleste. Quant aux « avant-dernières choses » comprennent entre autres notre appartenance à un peuple, une région ou une race. Les « avant-dernières choses » précèdent donc les « dernières ».

·       2 Cor 5:17 : « Si quelqu?un est en Christ, il est une nouvelle créature. Les choses anciennes sont passées ; voici : toutes choses sont devenues nouvelles.»
« Les choses anciennes » incluent la nation en tant que fondement pour projets, nos choix et nos actions. ? « Les choses nouvelles », c?est le fait d?être ouvert à ceux qui pourraient nous déranger ou nous faire peur, à savoir le faible, l?étranger ou l?Autre.

·       ChristNet a la lourde tâche de redéfinir sur ces bases l?identité suisse.

Bibliographie

Hans Küng, théologien catholique suisse vivant en Allemagne. A publié en 1991 à l?occasion du 700e anniversaire de la Confédération le livre « Die Schweiz ohne Orientierung? Europäische Perspektiven ». La vision d?un avenir possible. (P. 91ss.). (Benziger-Verlag 1992).

Scott MacLeod, musicien et écrivain, responsable d?un groupe chrétien faisant du travail de rue à Nashville, Tennessee, Etats-Unis. « Le lion de lumière. Une parole pour la Suisse. » (Editions Schleife, Winterthour : 2001).

Werner Ninck, juin 2002

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