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J’aime bien Rivella. Et Ovo aussi. Il n’y a pas que le bon goût, il y a aussi un facteur domestique. Parce que les produits suisses traditionnels me donnent un sentiment d’appartenance, je sais d’où ils viennent et qui les a fabriqués. C’est la médecine contre l’aliénation.

Je n’aime pas quand mon environnement et ma culture changent rapidement. Parce que moi aussi, j’ai besoin de prendre pied dans le coffre-fort, le familier. J’apprécie également la fiabilité des trains suisses et la fiabilité relative d’un mot. Des valeurs que je veux préserver.

Comment pouvons-nous préserver ce qui est bon sans nous élever au-dessus des autres nations et sans rejeter la correction de Dieu pour notre bien moindre ?

1) L’émergence du nationalisme suisse

Les panneaux d’affichage nous demandent constamment de voter « pour la Suisse ». Il est suggéré que celui qui ne vote pas, comme demandé, est contre la Suisse. Aux élections aussi, un grand parti prétend tout faire « pour l’amour de la Suisse ». Quel est le concept qui se cache derrière tout cela ? Pour qui ou quoi exactement ? Quelles sont nos priorités ?

Un autre parti prétend même que « les Suisses votent pour nous ». Cela suggère que quiconque n’est pas pour nous est contre nous. Christoph Blocher l’a également dit explicitement en janvier 2011 : quiconque est favorable à l’adhésion à l’UE n’est pas suisse. Le nationalisme peut donc conduire à l’exclusion de ceux qui pensent différemment et même les priver de leur identité et de leur nationalité.

La fierté nationale est en hausse

Ce n’est pas une coïncidence. Selon les enquêtes de GfS et Demoscope, la fierté nationale a augmenté. Cette tendance est également appelée « nouvelle suissitude » : Une nouvelle fierté, également dans les produits et les réalisations. Mais comme on le voit, il y a évidemment plus que cela. Certains appellent cela du patriotisme, d’autres du nationalisme.

L’UDC de Genève fait même de la publicité avec le slogan « Croire en la Suisse ». Cela soulève une question fondamentale : Croire en Dieu et ses valeurs ou croire en la Suisse et ses valeurs ? Il y a souvent une confusion.

Christoph Richterich de l’agence Richterich und Partner déclare 1 : « Les slogans reflètent l’état d’esprit actuel de la Suisse : face aux crises en Europe et dans le monde, les gens se réfugient dans une existence insulaire et un état d’esprit de « nous contre le reste du monde » ». Ces dernières années, la publicité a également joué de plus en plus sur la fierté nationale, en utilisant les drapeaux et les symboles suisses.

La montée du nationalisme n’est cependant pas un phénomène purement suisse. Il est également observable dans le reste de l’Europe : clairement visible en France, en Autriche et en Italie.

Raisons de cette évolution

Diverses raisons alimentent la montée de la fierté nationale :

Mondialisation : la mondialisation rend le monde plus confus. Il y a aussi beaucoup d’autres concurrents qui rôdent autour. Un sentiment de manque de soutien et de perte peut s’installer. La prise dans le familier (la nation) s’offre à elle.

Les changements culturels rapides encouragent un sentiment de désorientation et donc de peur. Les changements ne sont pas principalement dus à la mondialisation, mais aux progrès techniques (informatique, Internet), qui ont également un impact sur le monde du travail, et aux changements sociaux (structures familiales, perte de la vie villageoise).

Un nombre croissant d’étrangers : Une augmentation rapide du nombre d’étrangers n’est généralement qu’un facteur secondaire. Cependant, comme les étrangers représentent visiblement l’inconnu, ils deviennent rapidement le bouc émissaire et le déclencheur de la recherche de ses propres différences.

Classe sociale : dans les enquêtes, ce sont généralement les personnes âgées et un peu plus de membres de la classe inférieure qui adhèrent au nationalisme. Ce sont eux qui sont les plus perturbés par les changements culturels et qui ont reçu moins de ressources pour faire face à la différence par une éducation moindre. Se sentant menacés et impuissants, ils se réfugient dans les bras d’une communauté (nationale) forte pour les défendre. Ils recherchent la force dans la communauté.

La nation en tant que concept

L’appartenance nationale fait partie de notre identité. Les valeurs attribuées à cette nation font ou feront partie de nous. Ainsi, la nation devient le « je » étendu et sa force nous fait nous sentir forts. Dans la réussite nationale, nous recherchons notre propre force. Lorsque la nation réussit et brille, nous nous sentons plus en sécurité, mais aussi moralement justifiés : Nous sommes bons, même meilleurs que les autres.

2) Comment le nationalisme s’accorde-t-il avec l’Evangile ?

Que le nationalisme s’accorde ou non avec l’Evangile dépend de sa recherche du bien-être de tous et de son amour de Dieu et du prochain.

a) Le bien-être de tous

À première vue, le mot-clé « Suisse » semble concerner le bien-être de tous les résidents. Cependant, il me semble que ce n’est pas le cas dans la réalité. Lors des nombreuses votations où la croissance économique est promise « pour la Suisse », les plus faibles en paient le prix. Les valeurs chrétiennes telles que la justice ou le repos dominical seraient mises de côté si les heures d’ouverture des magasins dans les gares étaient prolongées jusqu’au dimanche « pour la Suisse ». Nous encourageons le matérialisme et accumulons encore plus d’argent au lieu d’en faire profiter ceux qui en ont le plus besoin.

b) Nous et les autres

La « Suisse » s’inquiète énormément lorsqu’elle est à la traîne dans le classement des pays les plus riches, c’est-à-dire lorsqu’elle est devenue plus riche mais plus pauvre par rapport à d’autres pays. Ensuite, elle se transforme en une promotion économique très active. La course à la richesse, en fait inutile, continue…. Peut-être avons-nous aussi peur de la puissance d’autres pays qui pourrait résulter de leur plus grande richesse. Ou bien recherchons-nous la richesse et le succès pour prouver notre droiture ? Il s’agirait là encore d’un auto-agrandissement.

L’expression « intérêts suisses » est utilisée pour décrire la recherche d’une plus grande richesse, souvent pour justifier l’égoïsme dans les relations avec les autres nations. Je trouve que la « représentation d’intérêts » dans le domaine du secret bancaire ou l’ouverture des marchés du Sud contre les intérêts des pauvres là-bas est une politique égoïste, voire impitoyable. J’entends parfois dire qu’il est naïf de ne pas poursuivre l’intérêt personnel, car sinon nous perdrions. C’est là que nous devons nous demander : qu’est-ce que Dieu nous demande ? Il veut que nous lui obéissions et que nous agissions avec droiture, quel qu’en soit le prix. Car Il a promis de pourvoir à nos besoins.

Pourtant, même les chrétiens disent que chaque pays doit d’abord se préoccuper de lui-même. Selon l’Évangile, cependant, chaque personne dans le monde est de valeur égale, nous devons donc aussi veiller aux intérêts de tous. Nos voisins sont en fait tous les habitants du monde. A la question d’un pharisien, qui est notre voisin, Jésus répond par la parabole du bon samaritain 2 : non seulement nos frères dans la foi, mais tous les hommes sont nos voisins.

c) Plus chrétien, donc meilleur ?

J’entends sans cesse dire que la Suisse est un pays particulièrement chrétien. Avons-nous donc tendance à défendre toutes nos actions parce que nous nous sentons bien ? Défendons-nous nos intérêts parce qu’en tant que chrétiens nous méritons plus ? Ou, inconsciemment, pour que notre richesse puisse montrer que nous sommes meilleurs ? La Suisse est-elle un pays particulièrement chrétien parce que nos racines sont chrétiennes ? Il est certain que ce « nous sommes meilleurs » implicite n’est rien d’autre que de l’auto-agrandissement et de la fierté.

Des racines chrétiennes ?

La référence aux « racines chrétiennes » est une tentative d’établir un lien mystique, pratiquement par héritage. Oui, les cultures sont transmises, mais les « racines » n’ont un effet que lorsqu’elles sont activement cultivées, certainement pas comme une bénédiction mystique permanente.

Dans le document fondateur de la Suisse, Dieu est en effet appelé. Toutefois, il ne s’agit pas d’une alliance avec Dieu, mais d’une alliance défensive à laquelle Dieu est invité. Cependant, c’était une pratique courante dans toute l’Europe à l’époque. Même pendant la Première Guerre mondiale, tous les pays participant à la guerre ont invoqué Dieu. Et aujourd’hui encore, notre constitution commence par les mots « Au nom de Dieu ». Cela ne veut rien dire. Au contraire, Jésus avertit ses disciples : « Mais pourquoi m’appelez-vous Seigneur, Seigneur, et ne faites pas ce que je vous dis » 3.

La richesse et la paix sont-elles un signe de bénédiction parce que nous sommes particulièrement obéissants ? 4 Pas nécessairement : la Bible contient aussi quelques plaintes selon lesquelles « les impies mangent et boivent, et les pieux vivent dans le besoin » 5. Et, Dieu fait pleuvoir sur le bien et le mal 6.

En particulier dans la discussion sur les étrangers, il est sous-entendu que les Suisses sont moins criminels et donc meilleurs. Mais si vous regardez de plus près les statistiques sur la criminalité, vous obtenez une image différente : Si l’on tient compte de facteurs tels que la formation, l’âge et le sexe, il n’y a plus de différence entre les étrangers et les Suisses.

Le mal vient de l’intérieur

Jésus affirme clairement que le mal ne vient pas de l’extérieur, mais de l’intérieur, de notre cœur7. Il le répète sans cesse aux pharisiens. La Suisse a été déchristianisée de l’intérieur, et non par les immigrants. Et nous, les chrétiens, devrions reconnaître notre propre part de responsabilité dans les problèmes et ne pas blâmer le monde extérieur. Gardons-nous de l’autosatisfaction.

3) Libération de l’extérieur ou de l’intérieur ?

Il ne s’agit donc plus seulement d’un sentiment d’appartenance – la joie des belles choses et des traditions de notre pays. Avec la fierté d’appartenir à une meilleure race de personnes, nous avons franchi la ligne du nationalisme et nous nous éloignons des fondements de l’évangile. Tous les gens sont égaux devant Dieu. Tous ont besoin de son pardon. Il en va de même pour le peuple suisse8 Les nations fières, aussi « chrétiennes » qu’elles se croient, pensent qu’elles sont bonnes et n’ont pas besoin de pardon car elles sont irréprochables et ont toujours agi correctement. Ils ne recevront donc pas non plus de pardon.

Le fait que Jésus ait été rejeté par les Israélites offre un exemple frappant du nationalisme et de ses conséquences. Les Israélites s’attendaient à ce qu’un héros national les délivre de la main des Romains détestés. Cependant, Jésus n’a pas cherché à racheter la nation, ni le peuple élu. Il n’a pas apporté la délivrance du mal « l’autre », les menaces extérieures. Il a plutôt apporté la délivrance du cœur, c’est-à-dire la délivrance du mal intérieur. Mais les Israélites s’attendaient à une justification, qu’ils étaient les bons et les Romains les méchants. Ils ne s’attendaient pas à la correction de leur propre coeur comme Jésus l’a offert. Il ne pouvait donc pas être le Messie à leurs yeux et a été rejeté. Ils ont rejeté la correction. Sommes-nous, les Suisses d’aujourd’hui, prêts à être corrigés par Dieu ? Aussi dans notre attitude politique ?

4) Conséquences pour notre politique

a) Résolution de problèmes

L’expulsion des étrangers et l’arrêt de l’immigration ne résoudront pas le problème. Pourquoi avons-nous tendance à ne pas voir cela ? Pensons-nous toujours que les problèmes viennent de l’extérieur ? Sommes-nous encore trop attachés à une identité sans faille ? Ou n’osons-nous pas mettre en œuvre des changements en Suisse ? Préférons-nous nous accrocher et nous défouler, contre les immigrants les plus faibles ?

b) Pas de « nous d’abord

Devant Dieu, tous les gens sont d’égale importance. Compte tenu de ce qui précède, il n’y a plus aucune raison de favoriser les gens de mon pays par rapport aux gens d’autres pays. Les habitants des autres pays ont autant besoin d’emplois que nous. Il est inutile que nous nous battions pour elle en sacrifiant notre qualité de vie. Il en va de même pour attirer les riches contribuables afin d’augmenter les recettes fiscales. Ou bien notre intérêt national est-il plus important pour nous que d’être juste envers le monde ? Dans le domaine du sport, pourquoi devrais-je espérer que les Suisses gagnent plus que les gens d’autres pays ?

c) « Pour la Suisse », uniquement si elle profite à tous

Une politique qui profite à tous les habitants de la Suisse, en particulier aux plus faibles, et non aux dépens d’autres personnes dans le monde, nous pouvons l’appeler « Pour la Suisse ». Mais seulement à ce moment-là.

d) Préserver les traditions

La préservation des belles traditions et des bons points d’ancrage qui nous soutiennent est également tout à fait souhaitable. Mais nous ne devons pas le faire au mépris des autres, ni considérer les traditions comme sacrées et comme la seule chose qui nous donne un pied-à-terre.

e) Dieu au lieu de la nation

Le culte de la nation et des contenus qui lui sont attribués est, selon ce qui a été dit ci-dessus, une forme de recherche de force et de protection et le culte de sa propre force. Cependant, nous devrions chercher tout cela auprès de Dieu.

f) Perspectives

Le nationalisme sera présent pendant un certain temps encore, car certains facteurs subsisteront :

Plus la Suisse voudra se positionner comme un paradis fiscal, plus elle ressentira la pression de l’UE, ce qui produira d’autres réflexes défensifs nationalistes. La mondialisation (et l’influence croissante de l’Inde et de la Chine) et la libre circulation des personnes continueront également à perpétuer le nationalisme. Le terrain de la peur pour l’autodétermination et pour notre culture continue.

Je voudrais que nos plus belles choses continuent à être entretenues et préservées. Les aspects peu attrayants de notre culture, cependant, nous pouvons volontiers perdre…

Markus Meury, sociologue, octobre 2011

 


1 : Basler Zeitung, 17 février 2011, p. 5

2 : Luc 10:25-37.

3 : Luc 6:46.

4 : La base de l’idée d’être particulièrement béni en tant que nation est également le concept de la nation comme une entité mystique devant Dieu, presque comme une personne de caractère. Il est vrai que Dieu a parlé à Israël et aussi aux nations. Mais ce qu’il dit à la Suisse est une pure interprétation des événements et des déclarations de divers chrétiens. Il faut toujours l’envisager avec beaucoup de prudence et ne jamais le croire de manière irréfutable.

5 : Psaume 73:4 ; Psaume 8:14 ; 2 Corinthiens 11:23-28, etc.

6 : Matthieu 5:45

7 : Marc 7:18-23

8 : Romains 3.23 : « Ils sont tous pécheurs, et il leur manque la gloire qu’ils devraient avoir auprès de Dieu. »

 

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Sous ce titre provocateur, j’aimerais mettre en évidence la séduction qu’exercent les idées de la droite conservatrice et nationale sur une partie des chrétiens en particulier évangéliques. J’aimerais montrer comment ces idées qui semblent bibliquement acceptables contredisent en fait la bible. Je tenterai d’expliquer comment ces idées essayent de coloniser l’enseignement biblique et les Églises. Ce thème est tout à fait d’actualité car Jean-Marie Le Pen s’est souvent montré à l’Église et Christophe Blocher invoque le nom de Dieu dans certaines de ses déclarations1

 

Comment définir et identifier les idées de la droite conservatrice et nationale ?

Il est évidemment difficile de répondre de façon exhaustive à la question dans ce texte car la droite conservatrice et nationale est une frange très large et complexe du champ politique et comporte en son sein diverses tendances et mouvements parfois même en conflit entre eux. Je me baserai pour cette réflexion sur la droite conservatrice et nationale actuelle en particulier sur les discours et idées qu’on trouve dans une frange de l’UDC ou du Front National en France. Je tenterai de définir quelques idées que je confronterai directement aux textes bibliques en montrant comment ils semblent faussement dans la ligne de la Bible.

Xénophobie, chauvinisme et décadence nationale

La première idée que l’on retrouve dans la droite conservatrice et nationale est l’importance de la nation2 qui mène souvent au racisme, à la xénophobie et à l’antisémitisme. Cette idée séduit certains chrétiens, car ils peuvent penser que les étrangers venant en Suisse ont d’autres religions ou valeurs, ce qui déchristianiserait automatiquement la Suisse (ou la France). Cela abonderait dans le sens de beaucoup de textes l’ancien testament demandant aux Israélites de se séparer3 des peuples païens vaincus afin de ne pas se laisser « contaminer » par leurs pratiques religieuses différentes. De même, nous pourrions prendre des versets de 2. Corinthiens4 « ne formez pas avec les incroyants un attelage disparate… » etc. A tout cela est lié aussi le thème de la décadence nationale soi-disant due à la pénétration de personnes ethniquement différentes qui aurait pour conséquence de changer l’identité de la nation ce provoquerait sa disparition5.

 

A tout cela, il faut tout d’abord dénoncer une très grande hypocrisie car selon cette thèse, tout le mal proviendrait uniquement de l’extérieur comme si le simple croyant ou l’Église n’en était nullement responsable. Pourtant, Jésus, dans un de ses enseignements qui a heurté les pharisiens, a affirmé que ce qui souille l’Homme provient de l’intérieur, en particulier du cœur6. On ne peut donc pas dire que ce sont simplement des choses provenant de l’extérieur qui peuvent détruire la foi ou déchristianiser une nation. En effet, le chrétien doit reconnaître ses propres erreurs et péchés et pas seulement accuser le monde extérieur d’en être coupable. Cette thèse d’extrême droite cache aussi l’arrogance de penser que sa nation est meilleure que les autres et que tous les maux proviennent uniquement de l’extérieur. Cela empêche de se remettre fondamentalement en question et donne une image naïve et féerique d’une Suisse originellement pure et sans péché, ce qui est anti-biblique, « car tous ont péché et privés de la gloire de Dieu »7. C’est vrai qu’il y a déchristianisation de la société occidentale, mais peut-on en accuser exclusivement les influences provenant de l’extérieur ? Comment de plus affirmer une supériorité morale d’une ethnie ou d’une nation à la lumière de ces textes de la Bible ? Il est vrai que notre pays a reçu la grâce de Dieu à travers le libre accès à la Bible ou l’œuvre de Réformateurs (avec des pages sombres, je l’admets), mais nous ne l’avons nullement mérité par nos propres œuvres.

Pour ce qui est de la thèse d’une soi-disant décadence, il faudrait distinguer entre une décadence de type spirituel comme le fait de s’éloigner de Dieu ou d’aller contre les valeurs judéo-chrétiennes et l’idée de décadence dont parle la droite conservatrice et nationale. Le premier phénomène existe. On peut l’illustrer par le fait que dans l’ancien testament, les israélites s’éloignent de la loi et vivent de façon dissolue, avec encore une montée de la violence, de la corruption, de l’oppression sociale, 8etc. En revanche, la droite conservatrice et nationale parle de la décadence de la nation due selon elle aux étrangers, francs-maçons, etc. Elle idolâtre la nation, alors que les prophètes de l’ancien testament ne sont pas xénophobes, mais dénoncent les violations de la Loi par les israélites. La décadence nationale dont parle la droite conservatrice et nationale n’a donc rien avoir avec l’éloignement de Dieu de son peuple. Comme précédemment, il y a ici une hypocrisie à dénoncer, car il est simpliste de dire que tous les maux de la société viennent de l’extérieur et en particulier des étrangers et de la mondialisation. Le fait de choisir de suivre Dieu ou non, dépend finalement de nous-mêmes et non pas exclusivement d’une influence extérieure. Finalement, je ne trouve rien dans la Bible qui demande absolument de sauvegarder l’unité nationale et de lutter contre de prétendues influences étrangères néfastes. Il ne faut donc pas confondre le patriotisme avec la fidélité à Dieu. D’ailleurs ce n’est pas l’unité nationale qui sauve ou qui permette de maintenir la l’unité du pays, mais plutôt les enseignements de la Bible concernant l’amour du prochain, la solidarité, etc. qui contribuent à maintenir le lien social.

L’autoritarisme

Une valeur revenant souvent dans les discours de la droite conservatrice et nationale est l’autoritarisme. L’idée est qu’il faut un régime fort pour protéger la collectivité contre les agressions extérieures ou pour plus de sécurité au niveau intérieur. Il y a ici une sorte de fascination ou d’idolâtrie du chef9 sensé assurer l’unité de la nation et lui donner une direction claire. Cela a souvent pour conséquence le rejet du système politique actuel et le désir de changer les institutions au niveau fondamental. Dans l’extrême droite, on considère que la démocratie est une forme d’anarchie qui dissout la nation dans l’individualisme. Dans le cas des mouvements de la droite nationale actuels, on pourrait citer comme exemple l’insistance constante de l’UDC de se référer au peuple comme ultime instance de décision en stigmatisant systématiquement la classe politique. Ce qui a l’air en apparence innocent s’oppose de fait à la séparation fondamentale des trois pouvoirs (exécutif, judiciaire et législatif) ainsi de la constitution et des droits fondamentaux qui devraient garantir les droits individuels face au collectif. C’est une sorte d’idolâtrie des droits populaires10. La base de la démocratie suisse implique le pluralisme, la séparation des pouvoirs et non un système où les votations populaires seraient érigée en dogme absolu et accumulerait tous les pouvoirs.

 

Il est vrai que le système démocratique doit être critiqué, notamment pour qu’il puisse s’améliorer. Une majorité de citoyens pourrait dicter aux autres leurs conditions, ce que redoutait déjà Tocqueville11. Néanmoins, je n’ai jamais vu dans la Bible des passages demandant aux Israélites d’avoir un régime autoritaire ou conseillant aux Chrétiens de déléguer tout leur pouvoir à un leader charismatique ou un conseil restreint ressemblant à un politburo « à la soviétique ». Dans l’ancien testament, Dieu condamne d’ailleurs l’attitude des Israélites voulant un roi comme les autres nations12 et les sauve par des leaders charismatiques choisis pour un temps seulement13. Dans le nouveau testament, Jésus se présente à ces disciples comme celui qui les sert et non comme quelqu’un d’autoritaire qui les écrase14. Cet autoritarisme mène aussi à un idolâtre du chef, ce que par là- même Dieu condamne, quand il dit que les Israélites le rejettent en voulant un roi. Nous voyons donc que l’autoritarisme prôné par l’extrême droite contredit la bible et ouvre la porte à l’idolâtrie du chef. Remarquons encore l’aspect purement matérialiste de l’autoritarisme. L’extrême droite fait confiance à un homme, alors que la Bible nous demande de faire confiance à Dieu et d’avoir une relation personnelle avec lui.

Glorification et nostalgie du passé

Un autre grand mythe de la droite nationale et conservatrice consiste à dire que le passé était globalement meilleur et que nous vivons à l’heure actuelle une sorte de décadence nationale due par exemple aux juifs, aux musulmans, à l’afflux d’immigrés ou à la jeunesse consommant de plus en plus de drogues et s’habillant de façon de plus en plus frivole. Cette glorification du passé pourrait tout à fait faussement trouver des fondements bibliques. En lisant de façon simpliste l’apocalypse, le chrétien pourrait être porté à croire que la fin du monde est proche et que celui-ci est entièrement aux mains du Diable, ce qui donne une image extrêmement pessimiste et sombre pour l’avenir. Cela amène une vision très simpliste où le passé semblerait meilleur à cause de ces prévisions apocalyptiques.

 

La glorification du passé est pourtant erronée pour plusieurs raisons. La première est que les œuvres de l’Église ayant permis une amélioration de l’avenir sont complètement négligées. Peut-on mettre dans les poubelles de l’histoire la fondation de la Croix- Rouge, l’Armée du Salut ainsi que toutes les œuvres de Calvin, Luther, Saint- Augustin, Thomas d’Aquin, etc. Ces personnes et événements ont pourtant permis des progrès sociaux et spirituels notables dont nous récoltons les fruits encore aujourd’hui. Voudrait-on glorifier le passé comme le Moyen- Age où l’illettrisme empêchait de lire la bible ? Pourquoi glorifier les années 60’ ou 50’ en pensant qu’elles étaient soi-disant meilleures car il n’avait pas de punks ou de fumeurs de joints ? Je ne pense pas que les textes de la bible nous invitent à la nostalgie d’un passé perdu imaginaire, mais plutôt à construire le royaume de Dieu et la préparer la seconde venue du Christ15. Remarquons d’ailleurs que retourner au jardin d’Eden n’est pas la finalité de l’Apocalypse. En revanche, on y parle d’une ville avec des habitants et Dieu en leur milieu16. La glorification et la nostalgie du passé ne peuvent donc pas être considérées comme une valeur biblique. Nous ne devrions donc pas être attirés par elle. Le chrétien nostalgique du passé est dominé par le pessimisme, et vit dans la peur de l’avenir, alors qu’il devrait reconnaître la toute puissance et la souveraineté de Dieu, malgré les difficultés actuelles17.

Croyance en un complot central mondial visant à contrôler le monde

Cet élément est souvent présent dans les discours de la droite conservatrice et nationale. Certains pensent qu’il s’agit des juifs qui contrôleraient les rouages du pouvoir ou de l’économie. D’autres pensent qu’il s’agit des francs-maçons. Cela se traduit souvent par un discours anti-establishment en disant que les politiciens sont tous pourris et tous les mêmes avec l’idée qu’ils se connaissent tous entre eux et prennent leurs décisions sur le dos du peuple. Cette idée de centralité et d’universalité d’un complot peut tout à fait correspondre à l’image que nous pouvons avoir du diable. Cela ouvre la question présente dans le nouveau testament de savoir qui est l’antéchrist.

Malgré d’apparentes similitudes, il n’est pourtant pas possible de mettre sur le même plan l’action de Satan décrite dans la bible et l’idée d’un complot universel et anti-national qu’affirme la droite conservatrice et nationale. En effet, en regardant la bible et l’histoire, notamment la question de la signification du chiffre de la bête (666), nous constatons que l’antéchrist a été l’empereur romain Néron, l’Église catholique, voire même ironiquement la Migros qui « ruinait » les épiciers des années 30 et 40 en Suisse comme ce que disaient certains à cette époque. Deuxièmement, Satan attaque aussi l’individu et les Églises, et son action ne se réduit pas seulement au plan politique ou institutionnel.

La deuxième objection est qu’il est réducteur d’avoir une vision aussi simpliste de la politique et des politiciens. S’il y avait un complot de cette taille, il n’y aurait plus alors de conflits politiques ou de divisions dans l’élite politique.

 

La troisième objection à cette vision est qu’elle oublie le rôle de Dieu en particulier sa souveraineté face à Satan. Ce dernier est toujours soumis à Jésus. Cette vision est donc à nouveau simpliste et toute humaine, car c’est nous avons à faire à une lutte entre humains et réduite à un niveau politique. D’ailleurs, il faut se demander où est la dimension spirituelle, de repentance, etc. En effet, le combat spirituel contre le mal ne doit pas seulement être tourné vers des ennemis physiques extérieurs, mais demande aussi une réflexion et un travail sur soi, par la sanctification et la remise en question de ses propres comportements et valeurs face à Dieu. Finalement, être tout le temps concentré sur un complot « satanico-politique » empêche de se rendre compte de la souveraineté de Dieu et du progrès de l’évangile dans nos vies et dans le monde qui nous entoure. Je ne pense pas qu’il soit biblique de se lever chaque matin avec l’obsession d’un complot universel à combattre. Il serait beaucoup plus sain de chercher Dieu, s’ouvrir à Lui et voir ses œuvres et reconnaître sa souveraineté pour en recevoir un encouragement.

Conclusion

Nous voyons donc à travers les constats ci-dessous que les affirmations principales et les fondements de la droite conservatrice et nationale entrent en contradiction flagrante avec les enseignements des textes de la Bible. Cette discussion montre tout d’abord la différence de fondement entre les idéologies de cette droite et la bible. La bible a pour fondement Dieu et demande que l’on se rapproche de lui, alors que la droite conservatrice et nationale se fonde sur la nation et le groupe ethnique. C’est de là que tout commence à diverger. La droite conservatrice et nationale fait l’apologie de l’autorité et de l’obéissance, alors que Dieu se présente comme un Dieu juste et qui fait grâce. Il y a certes des aspects « terribles » comme la punition des israélites dans l’Ancien Testament, mais il est difficile de réduire cela à de l’autoritarisme pur. Pour ce qui est du passé, la mécanique est inverse, car Dieu agit pour l’avenir. Rappelons ici que les prophètes prédisent l’avenir du peuple d’Israël et la venue du Christ, alors que la droite nationale et conservatrice tire son fondement des mythes du passé. L’approche est donc complètement différente. Finalement, l’obsession du complot contredit la théologie du Dieu souverain malgré les circonstances difficiles de son peuple. Ce dernier point met en évidence la nature réelle de la droite nationale et conservatrice : elle reste matérielle en ne considérant que l’humain, ce qui exclut le Dieu de la bible.

Bibliographie

CHEVALLIER, J-J. (1970), Les grandes œuvres politiques de Machiavel à nos jours, Paris, Armand Colin, pp. 217-234.

ROBERTSON, D. (1985) Dictionnary of politics, Hammondsworth, Middlesex, England, Penguin books ltd.

 

Thomas Tichy, 17 janvier 2005

 


1. Le lien entre le Front National et l’UDC n’est pas forcément évident. Pourtant, leurs thèmes de compagne sont similaires : immigration, insécurité, contestation du système et de « l’establishment » politique, valeurs traditionnelles, etc. A la fin des années 80, le mouvement Vigilance à Genève a essayé (en vain) d’inviter J-M Le Pen à Genève et certains de ces membres sont allés aux fêtes annuelles du FN. Ces mêmes personnes dirigent aujourd’hui la section UDC de Genève (source : Les dossiers du Canard, pp. 96-97, mars 1990). Le FN, dans un communiqué de presse officiel (22 oct. 2003), se félicite de la percée de l’UDC aux dernières élections fédérales (http://www.frontnational.com/quotidien_detail.php?id_qp=101&art=1). Le site du FN contient une liste de liens dont l’UDC fait partie.

 

2. Historiquement, on considère que le nationalisme émerge avec la révolution française. La gauche de l’époque rejette la noblesse et l’inégalité des classes pour dire, en gros, que tous les français sont égaux et frères (fraternité). Avec l’évolution sociale, la bourgeoisie ayant pris le pouvoir lors de la révolution, une nouvelle opposition demande que tous les Hommes soient frères. C’est ainsi que la gauche de l’époque glisse dans l’internationalisme en demandant une fraternité dépassant les frontières de la France. Le nationalisme passe donc de la gauche à la droite ce qui est encore à peu près le cas aujourd’hui. Une illustration de ceci peut être l’affaire Dreyfus où le nationalisme est passé de gauche à droite.

3. Esdr. 10: 2-11; Né. 13: 23-31. Lv. 20: 23-26.

4. 2. Co. 6: 14.

5. Les 2 textes de base du programme de l’UDC sont intéressants à évoquer pour illustrer mes propos : http://www.svp.ch/file/Plattform_franz.pdf. p. 40, l’introduction suggère que la proportion élevée (plus que chez nos voisins) est globalement négative (abus du droit d’asile, criminalité, etc.). Autre exemple :

Prendre soin du droit de citoyenneté (Juillet 2001)http://www.svp.ch/file/f2001.01Integrationspapier.doc

6. Marc 7:18. Il (Jésus) leur dit: Vous aussi, êtes-vous donc sans intelligence? Ne comprenez-vous pas que rien de ce qui du dehors entre dans l’homme ne peut le souiller?

7. Rm. 3: 23.

8. Am. 2: 6-16; Mi. 6: 9- 7: 6. Os. 4: 1-14.

9. On parle aussi du „Führerprinzip“ comme modèle d’organisation des partis d’extrême droite. L’idée de « Führerprinzip » ou sous sa forme atténuée de leader charismatique pourrait se retrouver dans n’importe quel parti ou mouvement dans lequel le président où le comité central ne sont jamais critiqués publiquement, où les désaccords sont considérés comme une trahison et où finalement tout est uniforme. Notons que ce type de phénomène se retrouve aussi à gauche avec le concept du « centralisme démocratique ».

10. L’UDC demande par exemple que les naturalisations se fassent par vote populaire, un peu comme si le peuple était infaillible, en affichant un mépris pour les procédures administratives. Celles-ci, quoique imparfaites, garantissent par exemple l’égalité de traitement et sont beaucoup plus prévisibles.

http://www.udc.ch/index.html?&page_id=1176&node=67&level=1&l=3

Rappelons encore ici que cette approche était l’apanage des penseurs de l’extrême -droite française comme Charles Maurras (1868-1952) ou du constitutionaliste allemand Karl Schmitt (1888-1985) impliqués par la suite dans la collaboration ou le nazisme. http://en.wikipedia.org/wiki/Carl_Schmitt

11. ROBERTSON, D. (1985) Dictionnary of politics, Hammondsworth, Middlesex, England, Penguin books ltd pp. 78-79.

12. 1. S. 8: 7.

13.  V. livre des Juges ex: Jg. 4.

14. Luc 22: 24-27: 24 Il s’éleva aussi parmi les apôtres une contestation: lequel d’entre eux devait être estimé le plus grand?25 Jésus leur dit: Les rois des nations les maîtrisent, et ceux qui les dominent sont appelés bienfaiteurs.26 Qu’il n’en soit pas de même pour vous. Mais que le plus grand parmi vous soit comme le plus petit, et celui qui gouverne comme celui qui sert.27 Car quel est le plus grand, celui qui est à table, ou celui qui sert? N’est-ce pas celui qui est à table? Et moi, cependant, je suis au milieu de vous comme celui qui sert.

15. Mt. 6: 33-34. 2 Pi. 3: 12.

16. Ap. 21: 1-2.

17. 1. Pi. 1: 6-7. Et 1. Pi. 5: 9-11.

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Le nationalisme – un sérieux danger pour les Suisses (chrétiens)

·        Confusion terminologique : certaines traductions de la Bible emploient le terme „nations“ (peuples). Or, la Bible ne parle pas d’Etats territoriaux, puisque ces derniers ne sont apparus qu’au XIXe et au XXe siècles.

·        Lorsqu’une nation se dit „le peuple élu de Dieu“, cela peut conduire à des dérapages qui sont tout sauf chrétiens (légitimation du repli sur soi, politique d’asile restrictive, etc.). Cette « élection » est combinée avec une représentation mythologisée du passé.

·        Le calvinisme et l’évangile de la prospérité : notre richesse nationale a été comprise comme étant une bénédiction de Dieu. Or, ce raisonnement utilise faussement le nom de Dieu et la Bible. De plus, il donne lieu à une théologie narcissique et asociale, et aussi à une politique qui se dit „chrétienne“.

·        Le nationalisme et le repentir ne vont pas de pair; le rapport Bergier est rejeté par les nationalistes comme une attaque. Pourtant, la Bible nous dit :
„Si nous disons que nous sommes sans péché, nous nous trompons nous-mêmes et la vérité n’est pas en nous.“ I Jean 1:8

·        En s’efforçant de protéger notre pays „chrétien“, les chrétiens tombent parfois dans l’intolérance et la xénophobie (vis-à-vis des musulmans, par exemple).

Conséquences : notre identité en Jésus-Christ

·        Il est indéniable que nous avons tous besoin de savoir quelle est notre identité. Car avoir une identité nous donne de la valeur, nous confère un sentiment de sécurité et de dignité. C’est mon identité qui fait de moi une personne à part entière.

·        Cependant, en tant que chrétiens, nous ne devons pas fonder notre identité sur des choses, telles que la profession, la race ou la nationalité.
„Ainsi, il n’y a pas des non-Juifs et des Juifs, des circoncis et des incirconcis, des non-civilisés, des primitifs, des esclaves ou des hommes libres, mais le Christ est tout et il est en tous.“
Mon identité première repose en Jésus-Christ, ce qui signifie que je suis un enfant aimé et accepté par Dieu (Galates 2:20). Ma vraie „patrie“ ne se trouve dès lors pas ici en Suisse, mais auprès de mon Père céleste (Notre Père qui est aux cieux !). Il en va de même de notre citoyenneté (cf. Philippiens 3:20).

·        C’est en Jésus que nous trouvons la vraie vie. Il est le Fils de Dieu fait homme. Il vivait de sa relation avec le Père céleste, en dépit du rejet et de la contestation qu’Il a dû essuyer de la part des hommes.
En Jésus-Christ, Dieu nous donne notre vraie identité
„Créé à l’image de Dieu“ – « je suis un enfant bien-aimé de Dieu »

·        Vraie identité et confiance en soi au travers de Jésus-Christ : « JE SUIS.. »

·        Une personne a trouvé son identité, lorsqu’elle peut assumer ses erreurs (reconnaître sa faute).

·        Un amour du prochain qui est sincère surmonte toute crainte.

·        Celui qui considère la vie comme un cadeau de Dieu vit dans la reconnaissance, l’humilité et, en conséquence, dans la générosité.

·        Nous ne devons pas minimiser le nationalisme soi-disant « chrétien ». La Suisse ne doit pas se replier sur elle-même; elle doit devenir une bénédiction pour les autres.

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Avec une force étonnante, les cloches de l’église retentissent à travers tout mon voisinage. En particulier les dimanches matins elles sonnent avec tant d’impétuosité qu’elles réveillent même le dormeur le plus endurci. Alors que je m’en plaignais, un chrétien me répondit de cette manière: « Nous devrions nous réjouir du bruit de ces cloches car elles nous rappellent, à nous les Suisses, que nous vivons dans un pays chrétien ». Dans un pays chrétien, nous? – Cette idée éveilla en moi un petit soupçon. Que signifie être un pays chrétien ? Et si tant est que nous parvenions à définir ce qu’est un pays chrétien, la Suisse en fait-elle partie ?

1. Les Suisses sont-t-ils chrétiens? Premier critère.

Au fait, quand un pays est-t-il vraiment un pays chrétien? Pour beaucoup la réponse est : lorsque dans ce pays, il y a beaucoup de chrétiens. Ce critère se base sur ce principe suivant : « La somme des parties forme un tout ». Lorsque tous les habitants ou une grande partie d’entre eux, ou plus que la moitié sont chrétiens, alors on peut dire que ce pays dans son ensemble est chrétien. En plus du simple calcul arithmétique, d’autre éléments entrent en ligne de compte : dans un pays où il y a beaucoup de chrétiens, les lois sont édictées en conséquence, la culture, l’air que l’on respire aussi sont empreints de chrétienté. Pour cela il est souvent dit qu’un pays qui met en pratique des valeurs chrétiennes en politique et dans la société est de fait un pays chrétien.

Un premier critère pour un pays chrétien serait alors celui-ci : un pays dans lequel d’une part beaucoup de chrétiens vivent et, d’autre part, les valeurs chrétiennes revêtent un rôle important pour la société.

a) Aujourd’hui

Alors, selon ce critère, la Suisse est-elle un pays chrétien? Pour répondre à cette question, il faut savoir tout d’abord ce que signifie être chrétien. Si on le demande aux chrétiens, ils relèvent toujours qu’être chrétien signifie plus qu’assister par formalité à la messe ou au culte de Noël. Être chrétien signifie savoir poser un jalon et changer sa façon de vivre, pouvoir dire à Dieu : pardonne mes fautes. Recevoir de sa part une certaine forme d’insouciance, de joie et de force libératrice. Vivre au quotidien avec Jésus, dans son amour et avec son Esprit, et bien d’autres choses encore. Combien d’habitants en Suisse sont-ils imprégnés de cette vision ? Où y a-t-il en Suisse un endroit dont les rues seraient emplies de personnes chrétiennes ? Je n’en ai encore vu aucun.

Et parce que la société est toujours formée et imprégnée par ses citoyens, nos lois, notre société, notre culture ne sont pas dirigées par des objectifs chrétiens (et lorsqu’elles le sont, la motivation à l’origine des actes n’est pas chrétienne). Dans notre société suisse, il souffle beaucoup d’esprits – des bons et des mauvais : la cupidité, l’amertume, mais aussi l’honnêteté, l’amour de la nature, l’envie de se divertir, etc. Parmi tous ces courants forts, le souffle de Jésus n’est qu’une petite brise.

Beaucoup de chrétiens utilisent deux définitions différentes du fait d’être chrétien et des valeurs chrétiennes, selon qu’ils parlent de la Suisse comme d’un pays très majoritairement chrétien ou bien qu’ils partagent leur foi ponctuellement lors d’un culte ou dans une cellule de prière. Dans le premier cas, la Suisse est considérée comme chrétienne par le seul fait qu’une minorité assiste parfois au culte ou à la messe ou parce que nos lois, à l’instar des dix commandements, interdissent le meurtre.

b) Hier

Certains lecteurs devront l’avouer: la Suisse aujourd’hui n’est plus peuplée de chrétiens. Ils répliqueront que la situation était tout autre lors des siècles passés. Et puis ils ajouteront que notre culture actuelle s’est nourrie de siècles de chrétienté et qu’elle en est imprégnée.

Voici trois éléments de réponse : premièrement, jusqu’à quel point une personne chrétienne peut-elle bénéficier de la foi de ses ancêtres ? Dans quelle mesure doit-elle elle-même trouver le chemin de Dieu ? Deuxièmement, quel est encore l’influence au 21ème siècle de Nicolas de Flue ou de Jérémias Gotthelf? Troisièmement, et c’est là la réplique la plus importante: nos racines sont-elles vraiment chrétiennes? Qui a imprégné l’Occident, des prédicateurs fidèles à la Bible ou des personnes avec une attitude certes pieuse mais imprégnée de superstitions? Quelques Mennonites pacifiques ou bien une cohorte de nobles belliqueux ? Matthias Claudius ou Denis Diderot ? On pourrait poursuivre l’énumération. Comparons tout d’abord ce que Jésus a légué au monde et ce qui a imprégné ou imprègne encore la société, le quotidien et les êtres humains dans notre Occident soi-disant chrétien. Ne faut-il pas se demander si, au cours de ce passé chrétien si souvent cité de la Suisse, le large chemin n’a pas été emprunté par une majorité d’hommes et si la route étroite de la nouvelle vie que Dieu aimerait ouvrir aux croyants n’a changé qu’une infime partie des gens, de la culture et de la politique.

On dirait ainsi qu’aujourd’hui comme par le passé, une grande partie de la population suisse doit encore accepter l’Evangile, car elle ne l’a pas encore reçu. Ainsi la société, la politique et la culture n’ont jamais vraiment été orientées en fonction de buts chrétiens. Si on mesure la « chrétienté » d’un pays par le fait que ses habitants, son gouvernement, sa vie publique sont imprégnés de la foi en le Dieu d’Abraham, alors on ne peut pas affirmer que la Suisse est un pays chrétien.

2. La Suisse est-elle chrétienne? Deuxième critère

Il y a des chrétiens qui désignent la Suisse comme une terre chrétienne, même s’ls voient et déplorent que les Suisses ont perdu l’influence due à la foi en Jésus, si tant est qu’ils l’aient eu un jour. Ces gens entendent par un pays chrétien autre chose qu’un pays où vivent un certain nombre de chrétiens. Cet autre point de vue souligne que dans notre pacte national et dans notre législation nous nous en sommes remis à Dieu et que Dieu a béni la Suisse. Tout comme un individu peut se convertir à Dieu, une nation aussi (à l’instar d’une personne), peut entrer en relation étroite avec Dieu. Le fait que les Suisses ont individuellement délaissé leur Dieu ne joue aucun rôle. La Suisse dans son entité est et demeure l’enfant de Dieu (ainsi l’expriment bon nombre de chrétiens). Ce second critère nous montre que ce qui caractérise un pays chrétien ou pas,ce n’est pas seulement le fait que l’une ou l’autre de ses parties le sont mais que ce pays entretient une relation toute particulière avec Dieu.

a) Drapeaux, pacte national et préambule

On peut vraiment se demander si la Suisse est un pays chrétien selon le second critère. Très souvent, afin d’étayer cette affirmation, on nous renvoie à la croix inscrite au beau milieu de notre drapeau. On devrait cependant se demander si le canton de Neuchâtel est un canton plus chrétien que le canton de Berne, car, sur le drapeau de Neuchâtel il y une croix à la place de l’ours bernois. Cela suffit-il à faire la différence ?

En tant que critère complémentaire qui défendrait l’idée d’une Suisse chrétienne, on évoque souvent le pacte des confédérés de 1291. Il n’est pas si évident que ce pacte nous ait amenés plus près de Dieu. Ce pacte est un document qui édicte un accord de défense entre trois vallées et qui énonce aussi les dispositions de droit applicables. Rien à voir avec un pacte conclu avec Dieu, comme voudraient nous le faire croire les chrétiens de nos jours1 . Naturellement, ce pacte débute par « Au nom de Dieu amen » et puis on y ajoute : « Ainsi Dieu le veut ». Cependant, rien ne permet d’affirmer sans ambiguïté que ces deux formulations représentent une alliance militaire et juridique en vue d’un pacte avec Dieu. L’appel à Dieu dans le préambule de ce pacte revêt un caractère plus modeste : on invite Dieu, en l’espèce en tant que Seigneur ou que témoin (ou quelque chose de la sorte) à être le témoin du pacte entre ces trois vallées. Et lorsqu’on songe à ces centaines de pactes et d’unions qui foisonnaient dans ces contrées au Moyen-Âge, on s’aperçoit que ces pactes ont tous fait référence à Dieu (les adversaires des Suisses n’étant pas en reste pour cela). Alors on peut reconnaître que ce préambule ne présentait que partiellement la portée d’une parole sérieuse et religieuse mais avait en grande partie un caractère coutumier. Il faut aussi être conscient que ce pacte national n’était en fait pas le véritable pacte de la fondation de la Suisse. Autrefois il y avait un éventail de pactes similaires. Vers le 19ème siècle, on prit simplement cet exemple particulièrement frappant comme document fondateur de la Suisse.

On peut ensuite lire le préambule de la Constitution fédérale: « Au nom de Dieu le Tout Puissant ». La Bible nous le dit : Dieu n’accorde pas d’importance aux attestations officielles mais ce qui lui importe le plus, ce sont l’attitude de nos cœurs et les actes qui en découlent2 . Rien ne permet d’affirmer que ce préambule devrait rendre la Suisse plus chrétienne. D’autant moins lorsqu’on se penche vraiment sur la signification d’un tel préambule. Du point de vue juridique, il est clair que ce préambule n’a aucune force de loi, sa valeur est toute symbolique. Lors des consultations parlementaires, il est ressorti clairement que cette injonction n’est pas seulement dédiée au Dieu des chrétiens, Ainsi l’ancien conseiller fédéral Koller : « chaque personne peut ….donner au Dieu tout puissant un sens tout personnel ». La plupart des parlementaires étaient d’avis que cette expression « Au nom de Dieu le tout puissant », démontrait avant tout les limites de l’action humaine et rien de plus. Qui peut lire les prophètes et en même temps déclarer que ce préambule honore Dieu alors qu’il utilise un mot bateau et qui n’en est pas moins, selon le message du Conseil fédéral, une des raisons les plus importantes de notre tradition? Quelle nation peut se prévaloir de consacrer certes quelques mots à Dieu dans sa constitution mais , au quotidien, de se préoccuper avant tout de l’argent, de l’économie débridée et de la consommation effrénée ?

Par ailleurs nous sommes souvent renvoyés à cette idée que dieu a particulièrement béni la Suisse ; serait-ce là une preuve tangible ? Qu’est-ce qui pourrait expliquer que notre pays soit empreint de paix et d’un produit intérieur brut si élevé, si ce n’est la bénédiction divine ? Cependant la Bible est pleine d’allusions et de plaintes sur les non croyants qui boivent et mangent3 alors que ceux qui suivent les traces de Dieu doivent courber l’échine. Naturellement il y a aussi dans la Bible plein d’exemples où Dieu bénit les siens avec des biens terrestres4 . Que l’on trouve dans la Bible ces deux côtés des choses nous démontre que l’on ne peut pas affirmer tout simplement: nous allons bien, c’est le fait de Dieu. Notre prospérité pourrait tout aussi bien provenir des suites de nos bonnes comme de nos mauvaises actions ou bien, nous la devons simplement à la grâce librement donnée par notre Dieu. Selon le second critère aussi, nous ne trouvons pas de raisons de considérer la Suisse comme appartenant à Dieu d’une manière spéciale5 .

b) Petite parenthèse: Des pays peuvent-ils être interlocuteurs de Dieu ?

Voici une parenthèse concernant un aspect annexe important, quoique complexe.

Nous sommes souvent dans l’embarras lorsqu’il faut examiner si des pays appartiennent à Dieu. On ne peut pas dire qu’un pays comme la Suisse ou un autre pays est chrétien sans considérer que nous les gens modernes, ne sommes plus du tout habitués à nous définir en tant que groupes, générations ou nations comme des entités organiques. Pour nous, les communautés sont seulement un rassemblement d’individus. Pour les gens du 21ème siècle c’est une pensée réductrice que de désigner un pays (et non un individu) comme partenaire de Dieu. Notre façon de penser, totalement individuelle et libérale, peut difficilement accepter, comprendre et surtout réaliser le fait que des communautés aussi peuvent entrer en relation avec Dieu. La Bible évoque pourtant souvent la communauté comme n’étant pas la somme d’individus mais en tant que personne à part entière. 6

Naturellement, il n’est pas aisé de comprendre comment notre Dieu s’adresse à une communauté (on se demande même parfois si cela est possible). Autrefois, Dieu parla par exemple à des gens qui se considéraient plus en tant que « Nous » qu’en tant que « Je ». Comment peut-on transposer ce discours pour nous autres, individus du 21ème siècle, qui nous définissons plus par « Je » que par « Nous » ? Les communautés auxquelles Dieu s’est adressé autrefois étaient complètement autres que celles d’aujourd’hui. Autrefois, les tribus, la famille élargie et la royauté comptaient bien plus que de nos jours. Aujourd’hui ce sont des nations démocratiques et multi-ethniques ainsi que des cercles d’amis et des cellules familiales. Il faut aussi songer que lorsque Dieu s’adresse à son peuple, il ne s’adresse pas toujours au peuple en tant que tel. On peut dire aujourd’hui que la Suisse a dit non à la CEE car une majorité de ses individus a dit non à la CEE. Par ailleurs, ce qui sème le trouble, c’est que Dieu a instauré une relation toute particulière avec Israël. Pouvons-nous apprendre quelque chose, à partir de cette relation spéciale, sur la relation que Dieu entretient avec d’autres nations ? Un autre point important est que Dieu nous a donné une autre façon de penser à travers le Nouveau Testament. La conversion, le baptême par l’eau et le baptême de l’Esprit, ainsi que la relation de chaque individu avec Dieu ont, de nos jours, une toute autre priorité que dans l’Ancien Testament. Malgré ces questions qui nous brouillent un peu l’esprit, il n’en demeure pas moins que Dieu s’adresse aussi bien aux seuls individus qu’aux peuples tout entiers.

c) Conclusion: la Suisse n’est pas un pays chrétien

En conclusion pour tout le texte ci-avant, nous pouvons affirmer ceci: nous avons considéré deux critères pour savoir ce qui rend un pays chrétien. Le premier critère conçoit un pays comme chrétien lorsqu’une grande partie de sa population l’est, et que la société de ce pays est empreinte de valeurs chrétiennes. Le second critère conçoit un pays comme encore chrétien même si presque plus personne ne suit les commandements de Dieu activement mais que ce pays en tant que pays est entré en relation avec Dieu. Selon ces deux critères, la Suisse n’est pas un pays chrétien.

3. Une Suisse sans Dieu

C’est un fait, les chrétiens ne sont pas les représentants d’une véritable identité chrétienne de la Suisse. Non, ils vivent dans un Etat séculaire, libéral et constituent une de ses nombreuses minorités. Il est bon de comprendre ce changement de paradigme. Regarder la vérité en face a un effet libérateur.

a) Construire une nouvelle maison au lieu de se lamenter sur les débris de l’ancienne

Nous les chrétiens ne devons plus d’une façon anxieuse défendre au nom de tout le peuple suisse cette « façade chrétienne ». Non, nous avons le droit de laisser dépérir les anciennes racines et de semer un grain nouveau ! Jésus n’a pas prêché le maintien d’une situation donnée, mais il a prêché la conversion. En Suisse il n’y a pas beaucoup de choses à conserver en ce qui concerne la libération par Jésus et les valeurs qu’il nous a apportées. Ce message et cette éthique doivent tout d’abord être apportés aux Suisses et aux Suissesses et ils ne peuvent être « réactivés ». Relevons ici la triste formulation que le Comité d’Action CH-CH a choisie pour désigner l’héritage chrétien de la Suisse comme étant un « grand capital aux fondements étendus ». Comment peut-on vouloir qualifier la foi de capital, à savoir quelque chose que nous possédons indépendamment de notre constitution actuelle ? Souvent, dans le contexte de la « répartition des responsabilités », les églises sont instamment incitées à jouer les gardiens du temple ou les garants de l’Occident chrétien. Mais les chrétiens ne devraient pas dépenser leur temps et leur énergie pour gérer ou freiner la faillite de l’Occident. Au lieu de perdre leur temps pour le maintien d’une culture (culture qui n’a aujourd’hui que peu de liens avec le charpentier et le fils de Dieu: Jésus), ces chrétiens devraient se concentrer à nouveau sur Dieu, laisser le soleil se coucher sur l’Occident et devraient proclamer la lumière de l’étoile du matin. Une lueur d’espoir pointe à l’horizon; c’est que dans ces derniers temps, les chrétiens englobent de plus en plus la Suisse dans leurs prières.

b) Ne pas cacher la véritable situation

Il est bon d’avouer que la Suisse chrétienne détient beaucoup plus de faux-fuyants que de substance même. Ce n’est qu’en prenant conscience de notre éloignement et de nos manques vis-à-vis de Dieu que nous pourrons retourner à Lui. Cet éloignement de Dieu est une réalité ; nous en voulons pour preuve ce musulman qui écrit sur ses expériences faites en Suisse. Il affirme en substance : « Que la Suisse soit un pays chrétien admettons-le, mais on ne ressent pas du tout au quotidien cet état de fait. Les valeurs chrétiennes typiques comme le don de soi à Dieu, l’amour du prochain etc. sont de plus en plus reléguées au second plan et font face à des valeurs dites modernes telles que capitalisme, égoïsme et sécularisme. Nous les musulmans vivons dans un monde où la priorité est mise sur le bien-être matériel, alors que l’accent devrait être mis sur le côté spirituel7 .

Les chrétiens devraient être les premiers à refuser cette hypocrisie qui voudrait que notre pays soit un pays chrétien. Combien de nos concitoyens se confortent dans l’idée que nous serions des chrétiens et que nous tiendrions bien haut l’étendard des valeurs chrétiennes sans qu’ils aient eux-mêmes ressenti le vent nouveau de l’Evangile ? Pourquoi nous, les chrétiens, soutenons-nous cette hypocrisie ? Pourquoi des politiciens chrétiens souhaitent-ils invariablement que la constitution fédérale débute par « au nom de Dieu », bien que cet état de fait, dans un pays « païen » comme la Suisse, est une manière d’aveugler le profane ? C’est une réalité qui devrait nous inviter à une sorte de repentance8 .

Pourquoi les chrétiens tendent-ils joyeusement la main lorsque la Suisse officielle veut mettre une cape autour d’elle comme d’autres portent une croix autour du cou en guise de talisman? Certains chrétiens n’espèrent-ils pas à un renouveau spirituel venant d’en-haut, ce qui n’est autre qu’une expérience de l’Esprit de Dieu, lorsqu’ils parlent de leur rêve d’une Suisse officielle qui se donne à Dieu. Pourquoi nos politiciens se basent-ils dans leur argumentation toujours et à nouveau sur des valeurs chrétiennes en martelant que nous sommes un pays chrétien? Bien que ces valeurs chrétiennes ne convaincront jamais un non-chrétien, que son pays d’origine soit appelé chrétien ou non. Pourquoi donc la NZZ9  encense-t-elle une constitution fédérale, qui se voudrait le fondement de nos valeurs chrétiennes, bien qu’il soit clair que la foi, en Suisse, est seulement superficielle et au grand jamais un « fondement ».

Bon nombre de chrétiens apprécient peut-être inconsciemment que le pathos des cercles officiels, étatiques et des puissants se répercute sur eux : « Nous, nous valons quelque chose, toute la Suisse repose sur notre foi ». Cependant cette sentimentalité ne correspond pas à l’esprit de la Bible (pas plus qu’à la réalité). De même beaucoup de chrétiens confondent leur amour pour la Suisse (ce qui, en soit, est beau si cela ne ressemble pas à de l’égoïsme), avec leur amour de Dieu, ce qui fait que cette patrie « dans la foi » ne peut plus être différenciée d’avec la patrie des alpages et des pâturages. Il se peut qu’un brin de romantisme vienne s’ajouter à cela, comme chez Novalis: « Il était des temps heureux durant lesquels l’Europe était une contrée chrétienne et où l’esprit de la chrétienté soufflait parmi les hommes ».10

c) L’objectif: une voix chrétienne pour le renouveau

Cette partie de notre globe n’a jamais été construit d’humanité et ne l’est pas plus aujourd’hui, C’est pour cela que la minorité chrétienne de la Suisse ne doit pas être frustrée de tenter de restaurer quelque chose ou de se sentir comme la « caisse de résonnance » de l’âme suisse qui serait chrétienne. Non, cette petite voix chrétienne au milieu des voix modernes de la Suisse contemporaine doit être une voix qui apporte le renouveau. Une voix qui, parmi toutes sortes de maux, doit changer l’attitude de tout un chacun et de la société tout entière. Une voix qui montre le chemin vers le Christ et vers ses valeurs.

Novembre 2004, Dominic Roser, économiste

 


2. cf. p. ex. Amos 5.21-27 ou Matthieu 6.5-6

3. p. ex. Psaume 73.4. Psaume 8.14. Corinthiens 11. 23-28

4. p. ex. Deutéronome 11. 13-17. 2. Chroniques 1. 11-12. Psaume 37.9

5. Lorsque quelqu’un affirme cependant que la Suisse est très proche de Dieu, on devrait songer aussi que d’autres pays le sont encore beaucoup plus. Combien de pays d’Europe comptent des éléments dits chrétiens dans leur histoire ? Combien par exemple ont eu les rois qui priaient ou d’autres références chrétiennes ? Qu’en est-il des Etats-Unis ? La Suisse a-t-elle vraiment une longueur d’avance dans ce domaine ?

6. Des repères importants dans la Bible comme Deutéronome 32. 8-9, Josué 43. 1-4, Zacharie 11.10 Il en ressort clairement que Dieu a conclu un pacte avec le peuple d’Israël.

7. http://www.barmherzigkeit.ch/Leseproben/muslime_in_der_ch.html. L’humaniste juif Erich Fromm donne une perspective extérieure intéressante et similaire dans son ouvrage: « Avoir ou Etre ». Il est d’avis que la conversion de l’Europe à la chrétienté est restée superficielle. Au mieux on pourrait dire que ce n’est qu’entre le 12ème et le 16ème siècle que l’on a pu déceler un changement dans les cœurs.

8.  Les sociaux-démocrates ont les premiers pris la peine d’attirer l’attention sur la réalité lors des pourparlers sur le préambule de la nouvelle Constitution fédérale. Jean Ziegler: « De quoi le Christ se plaint-il tout le temps? Des Pharisiens. Que font les Pharisiens, cette secte de semi-intellectuels à Jérusalem? Ils proclament la gloire de Dieu. Ils proclament et ils font le contraire. Ici, on veut de nouveau nous engager dans la voie proclamatoire. Ce préambule est une absurdité. Il n’y a pas d’Etat chrétien (…). Ce matin, nous avons l’occasion de mettre fin à cette effroyable hypocrisie (…) ». Andreas Gross: « dans ce sens l’appel à Dieu est devenu un bla-bla généralisé. (…) Ainsi, je le pense, nous rendons à la tradition un bien mauvais service. J’irai encore plus loin en déclarant: le premier alinéa est une absurdité ». Hans Widmer: « le grand théologien Karl Barth a déjà constaté dans les années quarante que le peuple contemporain des confédérés ne représente pas une unité de foi mais plutôt un mélange étonnant de peuples (réformés, catholiques, idéalistes, matérialistes et autres) ».

9. NZZ am Sonntag, 22 juin 2003

10. Die Christenheit oder Europa – Ein Fragment (1799).

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~ 7 min

Exposé tenu lors du ForumChristNet « I.D. Suisse » le 15 juin 2002 à Berne.

Le concept de « nation »

1. Introduction

Qu?est-ce qui fait de moi un Suisse ? Mes origines, ma mentalité, ma langue, mon histoire, mon orientation politique ? J?aurais en effet beaucoup à dire, même si j?ai des origines allemandes. C?est dans cette Suisse aux multiples facettes que j?ai choisi de vivre et de m?engager. Je veux être intégré dans ce pays, m?en sentir responsable.

2. Le concept de « nation »

On appelle nation une association de personnes réunies par un même mode de pensée et un même comportement, donc potentiellement capables d?autodétermination politique et en manifestant la volonté. Ce concept a pris une dimension politique d?abord en Occident au 19è siècle, pour ensuite gagner le reste du monde à partir du 20è siècle.

Au travers de son histoire et de sa constitution politique uniforme, la Suisse s?est forgé un solide sentiment d?identité nationale : elle comprend quatre « nations linguistiques », est très attentive aux différences existant aussi bien au niveau régional que communal, et elle a fort bien su consolider le processus de prise de décision démocratique. La Suisse est une « nation volontariste ».

Le concept de nation revient environ 700 fois dans la Bible, où il désigne les « peuples ». Il s?agit de grandes communautés constituées de familles, de tribus ou de clans qui avaient un passé commun. Ainsi on parlait encore de « nation » au Moyen-Âge, et même sous l?empire austro-hongrois, qui était alors un Etat composé de plusieurs nations. A noter que dans la Bible, le terme employé pour nation (ou peuple) est goi (goijim au pluriel) alors que le terme ?am est réservé à Israël, le peuple élu.

3. Le nationalisme:

Les idéologies nationalistes visent à défendre, renforcer et démarquer l?identité nationale, ressentie comme unique. Ce repli sur soi, visant à consolider la cohésion interne, exclut même les minorités vivant à l?intérieur du pays. Les idéologies nationalistes peuvent revêtir différentes formes en fonction du contexte historique, politique et socio-économique. La branche des sciences politiques fait notamment la distinction entre nationalisme culturel, politique, économique et religieux.

J?ai pu constater que certains chrétiens à tendance nationaliste s?identifient souvent à Israël. Je ne partage pas ce point de vue, pour les raisons suivantes :

·       Aux yeux de Dieu, Israël est le peuple élu de Dieu, le peuple No 1. Les « nations » viennent donc en 2è position, et cela est donc également valable pour la Suisse.

·       Etant membres « des nations », nous ne pouvons pas appartenir au peuple d?Israël (sauf si nous pouvons justifier des origines juives). Par contre nous sommes un en Christ avec les croyants d?Israël.

·       Israël n?est pas notre patrie, que nous devrions récupérer d?une façon ou d?une autre. La terre d?Israël fait partie de la promesse que Dieu a faite à Abraham, le père de la nation (1 Genèse 15 :18 « En ce jour-là, Dieu conclut une alliance avec Abraham en disant : Je donne ce pays à ta descendance ; depuis le fleuve d?Egypte jusqu?au grand fleuve, l?Euphrate. »)

·       D?ailleurs même Israël n?a aucun droit sur son pays. C?est un cadeau de Dieu, et il pourrait très bien le lui reprendre s?il y voyait le moyen d?atteindre son but : ramener son peuple à lui.

·       En tant que Suisses, nous ne pouvons pas vivre dans l?illusion d?être le pays No 1 ou d?en faire partie.

·       Dans Zacharie 8:23, nous lisons: « En ces jours-là, dix hommes de toutes les langues des nations saisiront un Juif, ils le saisiront par le pan de son vêtement et diront : Nous irons avec nous, car nous avons appris que Dieu est avec vous ». Dans cette prophétie, je retrouve cette tendance qu?ont certains chrétiens à s?identifier à Israël.

L?héritage de la Réforme

·       Les réformateurs ont incontestablement marqué la politique, et ce à l?échelle mondiale.

·       Martin Luther a clairement défendu sa position devant la Diète de Worms en présence de l?Empereur. Un homme politique l?a ensuite mis en sécurité.

·       Ulrich Zwingli a été pendant plusieurs années conseiller auprès du gouvernement zürichois. Il mourut lors de la 2è Guerre de Kappel.

·       Jean Calvin a fortement marqué Genève, jusque dans l?organisation de la vie publique et par ses valeurs éthiques. Ses activités ont d?ailleurs eu des répercussions considérables aussi bien en Angleterre qu?en Amérique ou en Europe de l?Est.

·       A Berne, la Réforme a été l?occasion tant attendue qui a permis au gouvernement de se soustraire de l?influence de Rome et de s?approprier certains territoires, notamment l?Oberland bernois.

·       Après la Réforme, l?Allemagne a longtemps conservé le principe politique voulant que le pouvoir en place détermine la confession.

Les Eglises libres

·       Pendant la Réforme, les baptistes furent mis sous pression parce qu?ils refusaient de se soumettre à la politique et à la confession prédominante. Nombre d?entre eux furent expropriés, mis à mort ou chassés.

·       Autour de 1831, Berne instaura peu à peu un gouvernement progressif. Les cercles aristocratiques durent se retirer de la politique et s?engagèrent alors dans le mouvement piétiste, qui devint une « Evangelische Gesellschaft » (une société évangéliste).

·       Vers 1880 commencèrent les grandes campagnes d?évangélisation, qui permirent à de nombreuses personnes de trouver un sens à leur vie en la remettant à Dieu.

Les amis d?Israël

·       Ils s?identifient nettement à l?actuelle Israël du Proche-Orient sur le plan national.

·       Le fait qu?ils proviennent de différent mouvements d?opposition aux Eglises dominantes expliquent leur tendance au repli sur soi (à l?image des Pharisiens vivant au temps de Jésus). Cela les rapproche de la tradition judaïque, qui s?est montrée nettement isolationniste au cours de l?Histoire.

La Suisse

·       Fondation en 1291 sur la prairie du Grutli.
Le Pacte commence ainsi : « Au nom du Seigneur. C’est accomplir une action honorable et profitable au bien public que de confirmer, selon les formes consacrées, les mesures prises en vue de la sécurité et de la paix ? Les décisions ci-dessus consignées [?] devront, si Dieu le permet, durer à perpétuité.»
Il est frappant de voir qu?à cette époque, dans les campagnes entourant le Lac des Quatre Cantons (qui étaient alors en plein bouleversement), on arriva à un accord politique de façon autonome et en rupture complète avec les autorités. Ce dernier devait « durer à perpétuité». A en croire les spécialistes cela était exceptionnel pour l?époque. Au fil du temps, ce « pacte d?urgence » sommaire devint une confédération, c?est-à-dire que les différents territoires se regroupèrent peu à peu en Etats ayant une visée politique commune.

·       Au 19è siècle, suite à la réorganisation de la vie publique par Napoléon Ier une confédération moderne vit le jour. C?est aux 18è et 19è siècles, sous l?influence des Lumières, qu?on développa et instaura les principes démocratiques et libéraux, mettant ainsi à pied d?égalité les différentes confessions du christianisme. Dans les milieux politiques et religieux, la notion de tolérance fit son chemin. Cela explique pourquoi il n?y eut plus de guerre de religion après 1848. Même les Eglises libres, dont les membres étaient encore fortement réprimés vers 1700, obtinrent le droit de s?organiser librement.

Notre identité en Christ

·       Notre identité chrétienne se trouve en Jésus-Christ seul (cf. Gal. 2:20 : « Ce n?est plus moi qui vis, c?est Christ qui vit en moi ; ma vie présente dans la chair, je la vis dans la foi au Fils de Dieu, qui m?a aimé et qui s?est livré lui-même pour moi » [Version Segond révisée])

·       Face à cette identité première, mon identité suisse (celle de mon passeport) est secondaire, c?est un adiaphore. Que je sois Turc, Juif, Palestinien ou Suisse, cela vient après le fait que nous sommes tous un en Jésus-Christ (cf. Gal. 3:28 : « Il n?y a plus Juif ni Grec, il n?y a plus esclave ni libre, il n?y a plus ni homme ni femme, car vous tous, vous êtes un en Christ-Jésus »). C?est cela notre véritable identité. C?est pourquoi il est inutile d?accorder trop d?importance à la nationalité. Seule notre foi en Jésus-Christ nous permet de savoir ce que nous pouvons apporter au monde et aux nations en tant que Suisses.
Dans certaines circonstances, l?adiaphore prend une signification majeure, c?est-à-dire qu?il devient le moyen d?exprimer notre confession de foi. Il se pourrait donc qu?un jour notre appartenance à Jésus-Christ se manifeste au travers de notre nationalité suisse. C?est par exemple le cas dans un pays purement islamique dans lequel il est interdit de montrer la croix suisse.

·       Phil. 3:20-21 : « Pour nous, notre cité est dans les cieux ; de là nous attendons comme Sauveur le Seigneur Jésus-Christ, qui transformera notre corps humilié, en le rendant semblable à son corps glorieux par le pouvoir efficace qu?il a de s?assujettir toutes choses ».
Ce passage parle de « l?au-delà » de notre citoyenneté. « Les cieux » sont le but de l?Histoire, la terre promise, le lieu où le Père règne éternellement. Nous y avons notre place. Notre identité nationale est également comprise dans l?expression « corps humilié ».
Le pasteur allemand Dietrich Bonhoeffer (résistant sous le régime nazi) parlait des « dernières » et « avant-dernières choses », autrement dit ce qui est décisif par rapport à ce qui est secondaire. Les « dernières choses » représentent l?appartenance à Dieu qui garantit notre citoyenneté céleste. Quant aux « avant-dernières choses » comprennent entre autres notre appartenance à un peuple, une région ou une race. Les « avant-dernières choses » précèdent donc les « dernières ».

·       2 Cor 5:17 : « Si quelqu?un est en Christ, il est une nouvelle créature. Les choses anciennes sont passées ; voici : toutes choses sont devenues nouvelles.»
« Les choses anciennes » incluent la nation en tant que fondement pour projets, nos choix et nos actions. ? « Les choses nouvelles », c?est le fait d?être ouvert à ceux qui pourraient nous déranger ou nous faire peur, à savoir le faible, l?étranger ou l?Autre.

·       ChristNet a la lourde tâche de redéfinir sur ces bases l?identité suisse.

Bibliographie

Hans Küng, théologien catholique suisse vivant en Allemagne. A publié en 1991 à l?occasion du 700e anniversaire de la Confédération le livre « Die Schweiz ohne Orientierung? Europäische Perspektiven ». La vision d?un avenir possible. (P. 91ss.). (Benziger-Verlag 1992).

Scott MacLeod, musicien et écrivain, responsable d?un groupe chrétien faisant du travail de rue à Nashville, Tennessee, Etats-Unis. « Le lion de lumière. Une parole pour la Suisse. » (Editions Schleife, Winterthour : 2001).

Werner Ninck, juin 2002