Eric Divernois fait partie de ChristNet depuis plusieurs années et est engagé au sein du Groupe écologique. Dans ce cadre, il a écrit un texte sur le mode de vie simple. Eric est valaisan. Il a vécu quelques années dans une communauté de foi et de vie du Val de Travers : Fontaine Dieu.
Le non-contentement, une maladie contemporaine
Le slogan des Jeux Olympiques est : « toujours plus vite, plus haut, plus fort ! » Il est également utilisé dans les entreprises pour montrer leur motivation. Le non-contentement exprimé par là est propre à l?Occident. Il se manifeste notamment dans nos pays par les taux élevés de suicide, la consommation d?antidépresseurs etc.. En un sens, le non-contentement favorise le progrès, mais l?insatisfaction finit par devenir mortifère.
Les symptômes
Un des symptômes est le toujours plus. On est poussés au travail et dans plein de domaines à vouloir toujours plus. Ce n?est pas faux en soi, le problème est plus subtil. La notion de progrès participe de ce besoin à la fois légitime et illégitime. Plus on exige de la performance, plus celle-ci génère des besoins nouveaux et a un impact environnemental. Ceci accélère un processus négatif : fatigue, surmenage, dépression. On a toujours plus de responsabilité, on multiplie les contacts pour s?assurer un meilleur développement de soi et l?épanouissement de possibilités personnelles. On a des agendas surchargés. Est-ce vraiment bon pour l?homme ?
Un autre symptôme résident dans notre consommation de drogues au sens large du terme : les gens consomment des quantités extrêmes de café, de tabac ou d?alcool pour être performants.
Il y a une tendance à chercher des expériences spirituelles. Ce phénomène se retrouve également dans les milieux chrétiens. Dans nos milieux évangéliques, la théologie de l?abondance fait des ravages. On désire toujours plus sous prétexte que Dieu va nous bénir en croyant que Dieu va nous bénir matériellement. En somme, il existe une vision libérale et consumériste de Dieu que je ne voudrais plus appeler théologie, mais « égologie ».
Les racines
Le non-contentement est une attitude de notre c?ur et donc une affaire spirituelle. En résumant, on peut dire que l?être humain est confronté à trois problèmes majeurs : l?isolement, l?absurdité et la peur. Ces trois aspects sont liés de manière intime et aboutissent au désir, à l?ignorance et à la haine.
· L?isolement : il s?agit d?une profonde solitude intérieure. Dans notre monde moderne, les gens sont de plus en plus isolés les uns des autres. Le progrès a cassé l?interdépendance entre les générations et les liens entre les personnes. On n?a plus besoin les uns des autres pour vivre. Ceci peut se manifester de différentes manières : certains passent leur journée devant l?ordinateur, d?autres se font livrer leurs courses commandées par Internet, etc.
· L?absurdité : en Occident tout a été remis en question par le passé : notre vision du monde est bouleversée. Les grandes idéologies sont dépassées. Certains penseurs parlent de désillusionnement du monde qui se traduit par une profonde perte de sens. Que reste-t-il ? Il n?y a plus qu?à consommer. Aujourd?hui, les magasins sont construits comme des temples de la consommation et vantés comme de vrais paradis.
· La peur : c?est une angoisse existentielle. Wolfgang a bien décrit cette réalité dans notre vie et notre monde. La peur résulte d?une inquiétude fondamentale face à un monde que l?on ne comprend pas, que l?on subit et dans lequel on est « jeté » comme disait Heidegger. L?histoire de l?Occident est minée par l?angoisse. Au Moyen-Âge, on avait peur du jugement dernier, on avait peur des catastrophes et de la fin des temps. Ainsi, la peur fut grande lors du passage de l?an mil. Plus récemment, le XXème siècle fut marqué par la peur d?une confrontation nucléaire, des menaces terroristes, de la crise financière et des bouleversements écologiques. Il faut réaliser que malgré notre posture chrétienne, nous sommes victimes de la peur du manque. Cette peur se cache derrière des préoccupations plus anodines : chômage, argent, etc. C?est souvent une peur inconsciente, mais moins on en est conscient, plus elle nous influence.
Les effets
Le non-contentement a des effets aux niveaux personnel, social, économique et environnemental.
· Effets personnels : en vivant dans le non-contentement, nous renforçons notre avidité. Nous sommes avides de tout, toujours, en tout temps, plus vite et plus intensément. Ceci amène différentes formes de prédation, d?épuisement et de saturation. Un auteur a dit : « L?abondance de biens crée une pénurie de temps ». En effet, nous manquons tous de temps.
· Effets sociaux : le non-contentement nous pousse à exiger plus des autres. Si, par exemple, je demande à obtenir dix tasses de café à petit prix à la place d?une seule, mais plus chère, j?augmente mes exigences face à la production et au prix, ce qui augmente la pression sur les salaires et sur les conditions de travail.
· Effets économiques : l?avidité nous pousse à gagner plus, à augmenter les intérêts sur nos actions, à spéculer sur des produits financiers hautement rentables, afin d?assurer nos comptes en banque, nos intérêts et ceux de notre descendance. Mais cela conduit également à l?emballement économique et aux débâcles financières.
· Effets écologiques : la pression environnementale générée par l?avidité est spectaculaire, parce qu?elle est multipliée par le nombre d?habitants de la planète et décuplée par le système. Si chacun exige le même taux de confort, il s?avère vite que tous nos désirs ne peuvent être satisfaits à l?infini dans un monde fini. Malheureusement, l?avidité est à la base de notre économie, laquelle nous fournit emplois et salaires?
Les médicaments de Dieu
Dans les médicaments proposés par Dieu, on trouve entres autres : la conversion, le renoncement, la reconnaissance et la louange, ainsi que la « trithérapie de Dieu » : l?amour, la foi et l?espérance.
· La conversion : c?est un processus qui consiste en un retournement mental : il faut changer nos représentations, et ce changement concerne également l?univers affectif. La Bible parle de la « circoncision du c?ur ». En enlevant une couche superflue pour rendre le c?ur plus tendre, on procède à une simplification du c?ur.
· Le renoncement : la conversion nous amène au renoncement. Il ne s?agit pas là avant tout de renoncer extérieurement à tous nos biens. Luther parlait de l?homme non
· converti comme de celui qui est courbé sur lui-même. C?est à notre égoïsme fondamental que nous devons renoncer, et c?est difficile !
· La reconnaissance et la louange : souvent, nous avons tendance à chanter des chants pour nous sentir bien. C?est pourtant une attitude qui nous fait glisser progressivement vers le consumérisme. Au contraire, l?essentiel dans la louange consiste à avoir un c?ur reconnaissant. C?est alors une louange de qualité.
· L?amour, la foi et l?espérance : tout un programme. Il y a là des pistes très bibliques. Cependant, pour nous soyons changés, la confiance en Dieu est fondamentale. Intellectuellement, on croit, mais concrètement, on se rend compte qu?on n?a pas vraiment la foi. Quand nos sécurités tombent, nous voyons vraiment où nous en sommes. L?amour, la foi et l?espérance sont en quelque sorte les contreparties de l?isolement, du non-sens et du désespoir ou de l?angoisse.
Conclusion : assez pour vivre
En contestant le mécanisme du toujours plus, on pourrait donner l?impression de faire l?éloge de la médiocrité et de la paresse et de mettre en cause la notion de progrès. L?idée n?est pas de se complaire dans un contentement facile. Le contentement n?est pas comme ces chalets qui portent l?inscription « Samsuffit »1 . Il ne s?agit pas non plus de passer du « trop » au « trop peu », mais plutôt du « trop » à « l?assez ». Par exemple travailler assez pour vivre, et non vivre pour travailler ; manger assez sans tomber dans la sur-bouffe et consommer selon ses vrais besoins ; viser la qualité plutôt que la quantité ; avoir assez pour satisfaire ses vrais besoins. ` côté du « toujours plus », il y a « l?assez » : assez pour vivre, assez pour partager et surtout assez pour être reconnaissant dans la bienveillance, dans la confiance et dans l?espérance.
Questions
Comment concilier le contentement avec l?appel de Dieu à faire fructifier nos dons ?
Il y a un mécontentement légitime, qui est illustré par exemple par Paul lorsqu?il dit : « Je poursuis ma course vers le but »2 . Il va donc de l?avant. L?Evangile nous exhorte à porter du fruit. Dans la création, il y a l?idée de progrès et de développement. C?est la loi de la vie. Le problème est que Satan fait de même, mais d?une manière néfaste : il existe aussi une loi du progrès qui a des effets mortifères pour l?individu et l?environnement.
En fait, il convient de m?interroger sur ma motivation à aller plus loin et surmon attitude, plutôt que de renoncer à aller plus loin?
En fin de compte, c?est une question que chacun doit résoudre dans son c?ur.
En Suisse, avec ma femme, nous avons souvent chassé des démons présentant un aspect financier. Les gens étaient poussés à consommer plus, ils étaient esclaves de ces démons. Ce n?est pas une attitude, mais une possession démoniaque. Où mettre la limite ?
Il y a un aspect démoniaque sous-jacent aux motivations. Le spirituel sous-tend le psychique et l?influence. Je n?ai pas la compétence pour en dire plus.
Il y a un verset qui dit : « Là où est votre c?ur, là est votre trésor. »3 . Est-ce que Dieu appelle les gens à tout donner ou faut-il plutôt prendre ce passage comme un appel à bien dépenser notre argent ?
L?Evangile est radical. A mon avis, il y a les deux attitudes : François d?Assise, par exemple, a tout donné. Mais il y a aussi des gens qui ont des richesses et qui sont ouverts à Dieu et lui obéissent dans leurs dépenses.
Transcription : Anne-Sylvie Giolo, Samuel Ninck
Révision : Sarah Martinez