Examen du rapport sur la privatisation de l’eau par Emanuele Lobina et David Hall (Problèmes liés aux concessions d’eau privées : bilan de l’expérience : http://www.psiru.org/reports/2003-06-W-over.doc)
En juin 2003, Emanuele Lobina et David Hall ont présenté une étude de 35 pages (sans notes de bas de page ni bibliographie) décrivant les problèmes de la privatisation de l’eau avec les derniers exemples et tendances.
Par privatisation, ils entendent à la fois la privatisation totale et les partenariats public-privé (PPP). Ces dernières sont plus en vogue et ressemblent à l’implication des organismes publics. Mais en réalité, les PPP reviennent souvent à ce que le secteur public soit contraint par la compagnie des eaux d’assumer les risques suivants :
– Pertes de change (l’investisseur apporte des dollars ou des euros, la population paie en monnaie locale) et inflation (par exemple Philippines, p. 12 et suivantes ; Buenos Aires, p. 16).
– des troubles si le prix de l’eau est trop élevé
– des bénéfices trop faibles pour la compagnie des eaux (à Santiago du Chili et à Cochabamba, en Bolivie, par exemple, un bénéfice fixe a été fixé)
Le PPP signifie donc souvent que l’entreprise obtient encore plus de garanties de l’État pour ses bénéfices. En 2000, le pays pauvre du Paraguay a même été contraint de contracter un prêt de 20 millions de francs auprès de la Banque mondiale pour financer les préparatifs de la privatisation, dont trois millions pour une campagne de relations publiques visant à convaincre la population de privatiser…. (S. 22).
Dans d’innombrables exemples, les auteurs montrent comment les compagnies des eaux ont d’abord obtenu une concession d’un pays ou d’une ville avec des offres attractives (ou aussi via la corruption), pour ensuite, en quelques mois, augmenter le prix de l’eau, réduire les investissements ou forcer une renégociation du contrat avec de meilleures conditions pour la compagnie (voir ci-dessus). Les pouvoirs publics ne sont généralement pas en mesure de contrer cette situation, car ils disposent de beaucoup moins de ressources pour les litiges juridiques et de savoir-faire technique pour les négociations que les entreprises. De plus, le gouvernement est souvent dépendant de la Banque mondiale, qui est à l’origine de la société. Souvent, les contrats sont également tenus secrets par les organes de contrôle locaux (Cochabamba, Bolivie et Guinée), de sorte que les abus de l’entreprise ne peuvent être prouvés qu’après de longs procès. Dans de nombreux cas, les entreprises concessionnaires attribuent des contrats à leurs propres filiales plutôt qu’à des entreprises locales, et à des prix massivement gonflés pour en tirer encore plus de profit.
L’argument selon lequel les pauvres bénéficient de la privatisation de l’eau s’effondre après la lecture de ce document.
– Dans la province de Santa Fe en Argentine, la société a facturé environ 2000 francs pour une connexion au réseau (p. 26) ; dans d’autres pays, les prix sont tout aussi prohibitifs.
– À Buenos Aires, les quartiers pauvres n’étaient reliés que par la corvée des habitants et une taxe spéciale. Pour la Banque mondiale, c’est néanmoins une réussite pour la privatisation…. (S. 32)
– Les entreprises ne connectent souvent pas du tout les zones pauvres, et ce de manière délibérée (El Alto, Bolivie ; Paranà, Brésil, Cartagena, Colombie), p. 31)
– Parfois, ils font monter les prix à un tel point que les pauvres se procurent à nouveau de l’eau à partir de sources impures (KwaZulu, Afrique du Sud, où une épidémie de choléra a ensuite éclaté avec 260 décès, p. 30f)).
Ces dernières années, les entreprises ont réalisé que l’eau n’est pas une activité rentable dans la plupart des pays, si l’on veut que les pauvres soient effectivement raccordés à l’approvisionnement en eau. Les entreprises ont demandé à la Banque mondiale et à d’autres institutions financières internationales de créer davantage de fonds pour la privatisation de l’eau, qui seraient ensuite accordés sous forme de prêts aux pays en développement afin qu’ils puissent réaliser les investissements à l’avance pour que la compagnie des eaux n’ait pas à les payer.
Lobina et Hall montrent que la privatisation de l’eau est un échec à cause du manque de concurrence, de la philosophie de maximisation du profit du secteur privé, qui n’est pas adaptée à la survie de l’eau, et aussi à cause du pouvoir des entreprises (Vivendi, Ondeo (Suez-Lyonnaise), RWE/Thames et SAUR (Bouygues), qui se partagent pratiquement le gâteau). Ils suggèrent un retour à plus de transfert de savoir-faire entre les services publics du Nord et du Sud, et une aide plus directe au développement de l’approvisionnement en eau. Surtout, l’idéologie selon laquelle le prix de l’eau devrait couvrir les coûts n’est tout simplement pas applicable aux populations pauvres.