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Des voix protestantes se sont élevées pour répondre à l’initiative suisse qui propose un revenu distribué sans condition à chaque personne: elles plaident pour laisser le travail et seulement le travail apporter à chacun les ressources vitales dont il a besoin, et cela alors que les revenus de l’activité économique sont loin d’aller intégralement aux personnes qui les produisent, et alors que des gens particulièrement riches peuvent vivre de leur fortune sans travailler.

Le monde nous est confié

La vision sociale des protestants leur permet heureusement de voter oui et non aux mêmes objets de votation! Mais savent-ils encore bien ce que dit leur foi, notre foi, la confiance qui nous a été offerte? Le protestantisme, est-ce vraiment d’abord notre éthique du travail responsable et créateur, quoi qu’on puisse en dire superficiellement?

Entendre la Bonne Nouvelle comme des réformés, c’est avant tout l’entendre comme une grâce, un cadeau gratuit. On n’est pas réformé parce qu’on sait travailler, mais parce qu’on sait avoir reçu gratuitement de quoi vivre envers et contre tout: si ensuite on peut travailler, c’est parce qu’on est vivant et vivifié. Le monde n’est pas à nous, mais nous est confié pour en vivre et le cultiver selon nos forces.

Une répartition généreuse

Il est donc permis d’imaginer dans les grandes lignes – comme le fait l’initiative sur laquelle les Suisses vont voter – un mode de répartition généreuse des revenus issus de l’activité économique. Ressources offertes gratuitement pour en vivre, dès avant notre travail!

Les salaires versés ne représentent jamais qu’une partie des revenus produits, sans même parler des revenus de fortunes investies. Tous ces revenus seraient donc susceptibles d’une répartition dont la part salariale serait réduite pour une part plus grande aux prestations inconditionnelles, ce que propose l’initiative, dont les détails restent à préciser par des lois.

Certes, sa formulation est donc très générale, au niveau constitutionnel. Certes aussi le texte proposé n’est pas parfait et ne recueille pas encore une majorité en sa faveur. Mais les débats autour des détails de son application éventuelle, d’ailleurs très peu probable, passent souvent totalement à côté des visées de la proposition elle-même. La première question en jeu, c’est de savoir s’il faut défendre une vision fondamentale de l’être humain comme produisant d’abord ses ressources par le travail – or l’Evangile ne nous le laisse pas croire!

Une société inégalitaire et impitoyable

Là se joue le vrai choix éthique: dans une société inégalitaire et impitoyable dont les revenus vont souvent à des bénéficiaires inactifs, ne serait-il pas bon que la Constitution oblige le législateur à attribuer prioritairement à toute personne une part inconditionnelle pour ses besoins vitaux? Tout le reste viendrait par surcroît, salaire du travail accompli, compléments requis par les handicaps, et autres nécessités.

Aucune des objections relatives aux modalités de cette attribution, aussi justifiées soient-elles pour une éventuelle future législation, n’est pertinente au niveau du principe constitutionnel à poser: l’être humain est-il né pour vivre ou pour travailler? Son travail est-il condition de sa survie, ou sa survie condition de son travail? Une société qui ne fournit ni un travail ni un revenu à une forte partie de ses membres est menteuse si elle prétend qu’il suffit de travailler pour avoir accès à la vie. La foi en l’Evangile lui a enseigné le contraire. L’aurait-elle oublié?

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Le royaume de Dieu : un état éphémère

Quelqu’un a dit un jour : « Jésus a prêché le royaume de Dieu. L’Église est venue » L’Église n’est pas le Royaume de Dieu sur terre. Au centre de la proclamation de Jésus de Nazareth se trouvait la nouvelle que partout où les gens s’orientent vers Dieu, des règles différentes s’appliquent, un monde nouveau voit le jour et disparaît à nouveau, ce qui est éphémère, mais façonne les personnes concernées pour toujours.

Le Sermon sur la Montagne est la « charte » du Royaume de Dieu. Là où les gens s’alignent en fonction de cela, le Royaume de Dieu a lieu. Et disparaît aussi à nouveau : c’est un État, pas une institution. Cela se passe là où Dieu le veut. Il ne peut être enregistré.

Matthieu raconte la parabole des ouvriers de la vigne (chap. 20, 1-16) pour éclairer un aspect de ce Royaume de Dieu. Là où Dieu est au centre, il n’y a plus de lien entre la récompense et la performance.

Les Suisses abolissent l’envie

L’idéaliste en moi, le théologien, le chrétien, le rêveur et le réaliste dit : « Le revenu de base inconditionnel fait de cette idée une réalité. Jésus l’a eu le premier. À l’avenir, nous nous abstiendrons de juger les gens en fonction de leurs performances ; nous les jugerons selon qu’ils apportent quelque chose à l’économie nationale ou non. Nous pourrions même, enfin, abolir le terrible mot « handicap », qui en principe n’attribue une valeur qu’aux personnes qui peuvent fonctionner. À cet égard, le flyer de cette journée est très bien fait : nous créons un morceau de paradis sur terre – certainement dans un sens protestant.

C’est pourquoi je suis favorable à ce que nous essayions. Nous avons besoin d’une nouvelle compréhension de l’économie. Elle a surtout besoin d’une nouvelle image de soi pour nous, les Suisses. Le BGE ne fonctionne que comme un projet commun. Imaginez que nous, les Suisses, abolissions l’envie !

Que l’idée soit financièrement viable ou non, qu’elle conduise à plus d’État ou moins – beaucoup de choses ont été dites à ce sujet et encore plus ont été revendiquées. Personne ne le sait vraiment. Moins de bureaux, moins d’autorités – ce serait bien. Mais personne ne sait comment ce serait vraiment.

Une occasion manquée

Mes doutes proviennent d’une toute autre considération. Je me suis fortement engagé en faveur de l’intégration des jeunes depuis des années. En 2000, nous avons fondé la Job Factory à Bâle ; en 2013, la société PerspectivePlus à Neuchâtel. Les jeunes doivent être intégrés à la puissance du marché. Nous voulons nous éloigner de l’emploi et nous orienter vers le client. Dans nos efforts pour intégrer les jeunes, il est crucial qu’ils comprennent que l’économie a besoin d’eux. Qu’ils peuvent apporter quelque chose à notre société. Qu’ils devraient apprendre à se tenir debout.

Beaucoup d’entre eux ne comprendraient pas pourquoi ils devraient faire un effort, pourquoi ils devraient être restreints pendant une période de formation, si on leur donnait simplement Fr. 2500. On ne le leur enseignerait pas parce qu’ils ne sont pas capables de se projeter mentalement dans l’avenir. Ils ne se rendraient probablement compte que vingt ans plus tard qu’ils ont manqué quelque chose. Et il serait alors trop tard.
Un engagement pour nous, les Suisses

Mais cela peut fonctionner. Comment puis-je le savoir ? Je vis déjà avec un revenu de base. Depuis plus de 30 ans. En 1977, des amis ont fondé une communauté. …une communauté appelée « Don Camillo ». Nous vivons dans la tradition des couvents. Nous le faisons à Berlin, Bâle, Berne et Neuchâtel. Dans tous ces endroits, nous sommes une partie reconnue de l’Église protestante et nous travaillons en étroite collaboration avec elle.

Nous prions les prières des heures – comme dans un monastère. Nous partageons nos revenus et les redistribuons – en fonction des besoins. Cela nous permet de lancer des projets qui sont trop importants. Le fait que nous partagions l’argent est une conséquence de la vie commune et de la foi commune. Nous vivons de nos propres revenus, mais de nombreux amis soutiennent nos projets – ils partagent aussi. Ce n’est pas si compliqué. J’ai discuté avec mes collègues de la question de savoir si le revenu de base que tout le monde a avec nous est inconditionnel. Nous sommes incertains. Tous ceux qui travaillent avec nous aiment beaucoup travailler.

Je crois que le BGE peut fonctionner. Mais il faudrait une base solide. Un engagement commun. La question centrale pour moi est de savoir si nous, en tant que Suisses, l’avons ou l’avons encore.

Questions secondaires

Enfin, une observation de la parabole de Jésus, qui n’a rien à voir avec la récompense et l’accomplissement.

Le propriétaire du vignoble n’est pas seulement généreux. Il est aussi un très mauvais planificateur. Il passe toute la journée à embaucher de nouveaux travailleurs. Honnêtement, je ne sais pas quoi répondre à cela. Je pense que les questions sur l’argent et les salaires, sur le trop et le trop peu ne sont pas si importantes. Se pourrait-il que nous nous occupions constamment de questions secondaires ?


Heiner Schubert est pasteur et membre de la Communauté Don Camillo à Montmirail NE. www.doncamillo.org

Présentation et dessins de Heiner Schubert au ChristNetForum « Unconditional Basic Income – Heaven on Earth », le 21 mai, à Zurich.

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Zurich/Genève, 24 mai 2016 – «Revenu de base inconditionnel – le paradis sur terre?» Voici la question abordée par ChristNet lors de son Forum samedi passé à Zurich. Philipp Hadorn, conseiller national (PS) et chrétien engagé, a revendiqué de meilleurs salaires, tout en défendant les règles du marché libre. Quant à la rappeuse «Big Zis», elle a prôné des valeurs chrétiennes. 

Le 5 juin prochain, l’initiative populaire en faveur d’un revenu de base inconditionnel (RBI) sera soumis au vote. Lors du ForumChristNet, les participants pouvaient déjà anticiper ce scrutin et indiquer, sur un «Thermomètre RBI», leur degré de sympathie ou de scepticisme face à ce sujet. Les positions étaient très dispersées, ce qui représentait des conditions idéales pour garantir un après-midi de débats contradictoires et nuancés.

Suisse solidaire ou jalouse?

Heiner Schubert, pasteur réformé, a ouvert les feux avec une impulsion biblique créative. En effet, il a dessiné, en direct, la parabole biblique des ouvriers dans le vignoble avec des traits rapides, pleins d’humour et un calme remarquable. «Dans le royaume de Dieu, la performance n’est pas reine», a précisé M. Schubert. «Tous les ouvriers, qu’ils aient travaillé toute la journée ou uniquement pendant une heure, reçoivent le même revenu de base.»

De même dans la communauté Don Camillo à Montmirail (NE) dont il fait partie, chacun reçoit un revenu de base. Et ça marche. Pourtant, ce revenu n’est pas inconditionnel, temporise-t-il. «Nous nous sommes engagés à vivre ensemble pendant un certain temps et à prendre soin les uns des autres.» Malgré ses sympathies pour le RBI, M. Schubert s’est montré sceptique quant à savoir si la Suisse, en tant que communauté solidaire, serait assez forte et disposerait de la cohésion nécessaire pour éviter qu’une culture de la jalousie se développe.

Une confiance de base pour tous

Ensuite s’est tenu la table ronde avec Franziska Schläpfer, membre du comité d’initiative, qui défend le RBI. Cette rappeuse, connue sous le nom de «Big Zis», est mère de trois enfants. Elle comprend le RBI comme l’expression d’une confiance inconditionnelle à l’instar de l’amour que portent les parents à leurs enfants. Elle a incité le public à se voir comme participant à une communauté de personnes où chacun s’entraide plutôt que de se concurrencer. «Nous avons tous besoin les uns des autres.»

Avec beaucoup de franchise, cette femme de 39 ans a évoqué des périodes de vie où elle s’est retrouvée sur la pente glissante et où elle avait, certes, besoin d’un peu de pression et d’incitation de l’extérieur. «Mais, conclut-elle, le plus important étaient les gens qui me faisaient confiance et qui croyaient en moi.»

Une utopie politiquement insensée

Le socialiste et syndicaliste Philippe Hadorn est d’accord avec l’objectif d’augmenter l’égalité des chances: «Les abus, c’est lorsque le capital génère des profits au dépens de l’emploi.» Selon lui, la justice sociale est une valeur centrale de la foi chrétienne. Quant au RBI, il le perçoit comme une utopie qui peut, certes, engager un débat de société important, mais qui est insensé en tant que projet constitutionnel. M. Hadorn craint que le Parlement actuel, «dominé par les intérêts économiques», risquerait d’abuser du RBI pour démanteler complètement l’Etat social. Il plaide de poursuivre la vision d’un emploi plus juste par des moyens plus pragmatiques, de renforcer les assurances sociales et de promouvoir une répartition plus juste des revenus.

Et Mme Heiniger dans tout ça?

Suite au désistement de la conseillère nationale PLR Doris Fiala, adversaire du RBI, sa place a été mis à disposition du public. Dès lors, plusieurs personnes l’ont occupée spontanément pour amener un point de vue critique. Ainsi, Mme Heiniger, une Zurichoise bénéficiaire de l’AI a témoigné de son inquiétude face au RBI: «2500 francs? Ca ne suffira jamais. Pourtant, je ne peux pas aller travailler», a-t-elle objecté. Sur quoi Daniel Straub, membre du comité d’initiative, a rejoint la table ronde pour assurer que personne ne recevrait moins qu’aujourd’hui. Et d’inciter Madame Heiniger à prendre de l’assurance: «Vous aussi, vous travaillez! Par exemple, en participant à cette table ronde.» Justement, notre conception du travail se bornerait au travail rémunéré. «Voici une vision étroite et démodée», conclut M. Straub.

Ce Forum animé et surprenant s’est terminé avec des discussions en groupe, une prière et un rap spontané de «Big Zis». Pour conclure, les participants ont été appelés à revoir leur position sur le thermomètre du RBI et de l’adapter au cas échéant. Les marques ont évolué globalement vers le haut et illustent ainsi un léger réchauffement des sympathies en faveur du revenu de base inconditionnel.

ChristNet ne prend pas position

ChristNet est d’avis que le débat provoqué par le revenu de base inconditionnel est important et pertinent. Celui-ci permet de discuter de sujets chrétiens essentiels tels la justice sociale, la solidarité et la valeur de chacun. Cependant, le laboratoire d’idées ne prend pas position quant à l’iniviative soumise au vote le 5 juin.


Thermomètre RBI après le Forum (chaque PostIt représente une voix).

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Les scandales de la finance, des dettes publiques, le chômage, les guerres et les attentats défrayent la chronique. Aujourd’hui, s’ajoute le défi des réfugiés. En plus des catastrophes écologiques qui mettent en cause les modes de vie de nos sociétés industrialisées. La situation actuelle de notre société paraît plutôt désespérante, et l’avenir incertain.

Voie à suivre

Mais quel regard portent les disciples du Christ sur ces défis contemporains ? Le regard que Jésus a posé sur notre monde est la meilleure option, car en lui sont cachés tous les trésors de la sagesse et de la connaissance (Col. 2.3).

Ce que Christ nous montre, c’est la voie à suivre ! Lorsque les docteurs de la loi l’interrogent pour savoir s’il est permis de payer le tribut à César, l’envahisseur païen, Jésus replace ces interlocuteurs dans leur dimension terrestre et limitée, en comparaison avec la grandeur de Dieu : « Rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu ! » (Luc 20.21–26)

En fait, Christ ne nous appelle pas à opter pour un comportement de repli ou à une spirale de haine, de violence et de peur. Notre Seigneur nous attend du côté pratique. Ces gestes de solidarité réalisés autour de nous, envers la veuve et l’orphelin, à savoir l’exploité, le pauvre, l’exclus, le malade, le souffrant et l’étranger. « Sois proche d’eux, sois leur prochain », dit Christ dans la parabole du Bon Samaritain ! Si nous laissons le Christ renouveler notre comportement et notre pensée, cela remettra en question fondamentalement l’esprit du monde avec son idole destructrice : le chacun pour soi.

Payer ses impôts avec joie

Comment cela peut se faire ? Voici quelques pistes concrètes : concernant la finance, il s’agit de relever ceux qui ploient sous les dettes en leur venant en aide. Quant aux dettes publiques, payons nos impôts avec joie, tout en sachant que si l’Etat devait faire défaut le secours vient de Dieu et de la solidarité mutuelle. Cherchons des moyens pour épauler les chômeurs dans leurs recherches, tout particulièrement ceux qui contribuent seuls à l’approvisionnement d’un ménage.

Aimer ses ennemis

Pour les guerres et les attentats, le Christ nous dit : « Ne crains pas et continue à aimer, même tes ennemis ! » Il nous appelle à accueillir personnellement le ou la réfugié(e), car Lui-même a payé le prix pour nous accueillir personnellement, malgré notre indignité. Enfin, faisons preuve de grands soins pour la Création de Dieu, car un avertissement nous est donné qui, malheureusement, prend de plus en plus son sens : Dieu « détruira ceux qui détruisent la terre » (Ap. 11.18).

L’auteur

M. Huber, économiste, travaille sur une thèse sur l’histoire des banques centrales et des marchés financiers. Il est membre de l’Eglise évangélique de La Rochette, Neuchâtel. Il est membre de ChristNet.


Tribune parue sous la rubrique « Regards » dans Christ Seul (mensuel des Eglises évangéliques mennonites de France), n° 1065, mai 2016.